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Le lobbying hors radar de Vinted sur la loi anti-fast fashion, contrairement à un autre gros acteur de la seconde main

Maurane Nait Mazi
9 juin 2025
9 juin 2025
Temps de lecture : 5 min

Alors que la loi anti-fast fashion arrive en fin de parcours parlementaire, la bataille des lobbies ne s’est pas limitée aux géants du neuf ou à Shein. Une partie des acteurs du réemploi et de la mode circulaire s’est, elle aussi, organisée pour peser dans la réécriture du texte. Dans ce concert d’influences, Vinted a pesé dans les débats. Discrètement. Ce qui n’est pas le cas de Vestiaire Collective, autre gros acteur de la seconde main.

Depuis le dépôt de la proposition de loi par la députée Anne-Cécile Violland en janvier 2024, les prises de position publiques se sont multipliées. Vestiaire Collective s’est exprimé très tôt, soutenant une régulation ambitieuse de la fast fashion et appelant à mieux différencier les modèles économiques.

Les grandes enseignes du textile comme Primark, Carrefour, H&M, Kiabi ou Decathlon appuyées par leurs fédérations professionnelles ou des cabinets de conseil, défendent une ligne de contestation plus frontale, dénonçant des contraintes jugées lourdes pour le secteur.

Vinted, lui, n’a rien déclaré publiquement. Mais son silence médiatique ne signifie pas inaction. CM-CM.fr a cherché les acteurs de la seconde main dans les déclarations de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Vinted figure bien parmi la liste des lobbies de ce qui est devenue l’affaire de la loi anti-fast fashion.

Vinted joue la protection du modèle de la seconde main mass market

Prises de positions, pressions, tribunes et débats houleux, certaines enseignes et associations n’ont pas hésité à jouer des coudes. Vinted, lui, est resté silencieux publiquement. Mais il a néanmoins pesé. Les fichiers de la HATVP confirment des actions menées par la licorne lituanienne.

Le 27 mars 2025, Vinted déclare officiellement auprès de l’autorité deux interventions auprès des décideurs parlementaires. Voici les deux lignes défensives portées :

La première concerne l’ajustement de l'obligation "de désigner un mandataire pour les entreprises non situées en dehors du territoire français sur les entreprises dont le modèle repose sur la fast fashion".

La deuxième concerne l’exclusion la seconde main du champ d'application de la loi : Vinted souhaite une reconnaissance de la spécificité du réemploi face aux nouvelles régulations environnementales.

Effets de bord d’une loi fast fashion qui toucherait le réemploi

Pourquoi Vinted a besoin de plaider son cas ? La plateforme souhaite prévenir en amont des effets de bord qui risqueraient d’aligner les exigences de la seconde main sur celles du neuf. Cette dernière fonctionne sur des volumes de transactions qui, mal encadrés juridiquement, pourraient basculer sous des dispositifs pensés pour les industriels de la fast fashion.

Pas de un cabinet d'affaire publique a priori, aucune offensive médiatique n’a en revanche été enregistrée : Vinted a privilégié une stratégie technique et plutôt directe, concentrée sur les échanges formels avec les rapporteurs du texte et les administrations en charge des arbitrages.

Cette stratégie s’inscrit dans une séquence politique marquée par un resserrement progressif du périmètre du texte. Au fil des débats, la sénatrice rapporteure de la loi Sylvie Valente Le Hir a assumé cibler en priorité l’ultra fast fashion, principalement chinoise, en affichant une volonté de ne pas pénaliser les acteurs européens du textile.

Lire notre article : Pas touche à Kiabi, "ma cible c’est l’ultra-fast fashion", assume Sylvie Valente Le Hir

Une ligne de compromis qui permet aujourd’hui à des plateformes comme Vinted de défendre leur modèle sans confrontation frontale. Dans le rang des acteurs du réemploi, tout le monde n’a pas choisi la discrétion.

Vestiaire Collective sur le devant de "la scène seconde main"

À la différence de Vinted, Vestiaire Collective a fait de la régulation du secteur textile un sujet de mobilisation publique. Depuis plusieurs mois, la plateforme française de seconde main de luxe affiche son engagement direct auprès des parlementaires. Le 21 novembre dernier, par exemple, l’enseigne — qui a banni en 2023 une trentaine de marques de fast fashion comme Zara, H&M et Mango — organisait un évènement sous son logo avec la députée Anne-Cécile Violland, rapporteure du texte à l’Assemblée nationale.

Un ton s'est durci en mars. Sur ses réseaux, la co-fondatrice Fanny Moizant avait ainsi dénoncé sans détour le blocage du texte au Sénat : "L'abandon par la France du projet de loi contre la fast fashion est un scandale national", s’écriait-elle alors face caméra, interpellant directement Emmanuel Macron, le gouvernement et les parlementaires.

Mi-mars, le dressing de seconde main passait des réseaux à l’action avec le Collectif Stop Fast Fashion. Sans peur d’apparaître aux côtés d’associations militantes telles que les Amis de la Terre ou France Nature Environnement et sortant définitivement de sa zone de confort de plateforme de luxe gentiment décalée, la marque s’est affichée lors d’un happening mené par le collectif : dix tonnes de vêtements jetables déversées devant le Sénat pour réclamer à grands cris l’examen de la loi anti-fast fashion au Sénat.

Lire aussi : Le Relais Est, Label Emmaüs, Vestiaire Collective : la seconde main détourne la pub Shein "la mode est un droit"
Lobbying : réunion au siège de Vestiaire Collective sur la loi anti-fast fashion et la régulation du marché de la seconde main.

Le 30 mai dernier, l'équipe de Vestiaire Collective rencontrait la sénatrice Valente Le Hir et le président de la commission du développement durable du Sénat, Jean-François Longeot, au siège de la marque. De gauche à droite, de haut en bas : Dounia Wone (directrice RSE de Vestiaire Collective), Hatem Sedkaoui (représentant de la Fédération de la mode circulaire), Sylvie Valente Le Hir (sénatrice de l'Oise) et Fanny Moizant (co-fondatrice de Vestiaire Collective). Crédit : Vestiaire Collective

« Nous sommes étroitement engagés dans cette conversation cruciale », écrivait alors Vestiaire Collective dans sa communication digitale au sujet de l'entrevue.

L’entreprise agit via la Fédération de la mode circulaire, à laquelle Vinted adhère également. L’association professionnelle a enregistré ses positions dans le registre HATVP. Ses propositions, déposées le 31 mars 2025, portent sur l’intégration de critères de circularité, la définition de la fast fashion, la compétitivité des entreprises de mode durable et l'influence de la proposition de loi.

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Catégorie : En politique

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