En quelques mois, la sénatrice Sylvie Valente Le Hir est devenue l’incarnation d’une nouvelle loi pionnière contre Shein et Temu. De la loi anti-fashion, l’élue apparentée aux Républicains en fait un texte contre la mode ultra express. Dans son sillage, la loi anti-fast fashion fait entrer la mode circulaire au Palais du Luxembourg, portée par une élue qui recoud ses pantalons, chine ses sacs et parle seconde main avec l’élégance et l’accent de l’Oise.
Sur le marbre des couloirs rouge et or du Sénat ou enfoncés dans la moquette vermeille, ses talons claquent ou se font velours, mais c’est une autre cadence qu’elle souhaite ralentir: celle de la mode ultra express. Le décorum très XIXe l’entoure à merveille… ou est-ce elle, la fille de Compiègne, ancienne gestionnaire de patrimoine, qui se fond parfaitement dans l’ambiance du Palais ?
Quand nous rencontrons la sénatrice Sylvie Valente Le Hir, son fidèle assistant l’accompagne, présent à ses côtés depuis plusieurs années. On sent une connivence entre les deux amis. Ils se charrient, se chamaillent, commandent du champagne. Il est onze heures du matin. Elle est à l’image de son sujet du moment : la mode et les territoires. Très chic, stylisée, bonne vivante, avec un indéniable côté bourgeois.
Inconnue avant 2025 du petit monde fourmillant de l’économie circulaire, le visage et le nom de cette sénatrice apparentée Les Républicains ont rapidement fait le tour de LinkedIn — réseau privilégié des entrepreneurs.
Pour cause : désignée rapporteure de la future loi anti-fast fashion en 2024, lors d’une commission passée sous les radars, elle se retrouve sous les projecteurs, lorsque l’exaspération de l’industrie textile et de la mode circulaire monte d’un cran.

Il aura fallu plus d’un an entre le vote à l’unanimité à l’Assemblée nationale et celui du Sénat. Le même temps pour que Sylvie Valente Le Hir devienne la Madame anti-fast fashion du Sénat, dans le sillage de sa prédécesseuse au Palais Bourbon, l’élue Horizons Anne-Cécile Violland.
Un rôle cousu main depuis longtemps pour l’apparentée Les Républicains. Par les associations d’abord et les écologistes, par les entrepreneurs de la mode circulaire ensuite. Dernièrement par l’Assemblée. Au Sénat, elle n’a plus qu’à être la femme de droite qu’on n’attendait pas sur le sujet. Avec discrétion et élégance. Elle y tient.
Madame anti-fast fashion au Sénat
« Merci beaucoup, c’était mon tout premier rapport. » Tard dans la soirée du mardi 10 juin, les parlementaires applaudissent le discours final de celle qui, jusqu’alors, était encore considérée parmi « les petits nouveaux » du Palais du Luxembourg. Entrée en 2023 lors des dernières sénatoriales, la voilà qui s’offre un premier vote à l’unanimité pour son travail sur la loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, dite loi anti-fast fashion.
Pourquoi cette loi ? Par opportunisme ? À son arrivée parmi les sénateurs, Sylvie Valente Le Hir choisit pourtant directement de siéger à la commission de l’aménagement des territoires et du développement durable. Dans l’Oise, elle nous raconte avoir souvent été interpellée par des entreprises comme Chanel, des usines de cuirs, par des commerces du textile.
De 2020 à 2023, elle siégeait au bureau du syndicat mixte des ordures ménagères de son département. Il y a la question industrielle, la question du maillage français, la sensibilité environnementale liée à la gestion des collectivités... Enfin, dans loi « anti-fast fashion », il y a fashion : il suffit de regarder la tenue de la sénatrice pour comprendre rapidement que nous avons affaire à une fine connaisseuse en la matière.
Sous son œil attentif, entre une première commission mi-mars 2025 et les débats du 2 juin, les lignes et les articles de la proposition de loi ont bougé. En prenant le sujet à bras-le-corps, Sylvie Valente Le Hir ne s’est pas fait que des amis : de loi « anti-fast fashion », le texte est devenu lutte contre la mode « ultra express ». Jusqu’au bout, la sénatrice assume ce changement de positionnement :
« Pas un centime ne viendra toucher une entreprise comme Décathlon ou Kiabi (…) ma priorité, c’est Shein et Temu », avait-elle déclaré sur CM-CM.fr, en guise d’explications.
« H&M et Zara font des efforts, il n’y a pas de dangers toxiques dans leur produits. Ça reste des modèles plus contrôlés. Qui créent de l’emploi sur nos territoires », ajoute-t-elle. Les territoires, encore.
Contraindre les géants chinois pour préserver l’industrie de la fast fashion française et européenne : une stratégie jugée décevante par les associations environnementales et les acteurs de la mode circulaire, qui travaillent depuis des années sur un texte plus coercitif et pour ralentir la surproduction textile. « Une première brique ambitieuse », selon la sénatrice, soutenue par la ministre du commerce intérieur, Véronique Lowagie.

Une LR qui parle « mode circulaire »
Ce n’est pas que la sénatrice se moque des efforts d’une autre économie, celle circulaire, qui a tout tenté pour faire entendre sa voix sur ce texte. Elle n’aimerait pas qu’on pense qu’elle n’y est pas sensible.
Elle affirme d’ailleurs haut et fort avoir rencontré absolument tous les acteurs de l’industrie textile. Peut-être un peu moins Les Amis de la Terre que d’autres toutefois, selon nos informations. Peut-être un peu moins encore les ressourceries que Kiabi, fleuron populaire de la famille Mulliez.
Louer la mode circulaire, en revanche, Sylvie Valente Le Hir peut se vanter d’être la première sénatrice de droite à l’avoir fait. Réemploi, seconde main… Grâce à elle, les termes ont pénétré le champ lexical de groupes politiques plus conservateurs. Partis des territoires avant de ruisseler sur l’ensemble de l’économie nationale depuis la loi AGEC (relative au gaspillage et à la circularité), les voilà dans la bouche d’une élue LR, au cœur de l’hémicycle.
« La mode circulaire, elle aussi, est menacée. Le développement de la réparation, du réemploi, de la vente en seconde main — autant de pratiques vertueuses pour l’environnement et pour l’emploi — est compromis par l’invasion de vêtements à bas coût et de qualité médiocre. Les textiles bon marché, conçus pour être jetés, sont par définition difficilement réparables ou recyclables (…) Et quand un vêtement neuf coûte moins cher qu’un vêtement de seconde main, le signal envoyé au consommateur est destructeur », a affirmé dans son discours d’introduction aux débats celle qu’on appelle désormais Madame anti-ultra-fast fashion.
Ça y est, l’ancienne maire de Tracy-le-Mont a compris : derrière la circularité, il y a des leviers de transformation économique et sociétal plus vertueux que le neuf, et que le politique doit s’emparer.

Sylvie Valente Le Hir au Sénat, 20 mars 2025. Crédit : Hortense de Montalivet pour CM-CM.fr
Des maroquineries de l’Oise à la mode au Sénat
Dans le salon très privé Victor Hugo -annexe confidentielle de la buvette parlementaire- les langues se délient et les corps s’enfoncent dans les fauteuils cabriolets violets.
On parle de l’Oise, on apprend qu’elle aime les chevaux (forcément la région, la région est celle de grands haras et Chantilly n’est pas loin), la nature, les grandes maisons de campagne. Depuis la fin des années 1980, elle habite à Tracy-le-Mont, une charmante petite commune de 1700 habitants dont elle a pris la tête en 2016. Volontaire et travailleuse, elle connaît une ascension fulgurante en politique: en moins de 15 ans, la voici fraîchement débarquée au Sénat grâce à la liste d’Olivier Paccaud, parlementaire du département depuis 2017.
« Je peux voter des textes communistes s’il le faut ! », nous soutient-elle.
« Libre », « pas encartée », mais « de centre-droit », elle est ici pour porter la voix des territoires, nous dit-elle. Du sien, elle en parle comme une dame affectueuse, qui protège jalousement les intérêts de sa région de cœur : son environnement, ses industries, ses innovations.
Depuis 2020, Chanel y a installé une nouvelle usine à Verneuil-en-Halatte. Chanel… Peut-être l’une de ses marques préférées. À côté d’elle, son sac Yves Saint Laurent — un Loulou ? — parfaitement rangé. Pas de préférence territoriale affichée, elle y tient.

Le 19 février 2025, au Sénat, Sylvie Valente Le Hir lors des questions au gouvernement. Elle alerte sur l’urgence à légiférer et dénonce une « submersion des filières de seconde main par des vêtements non recyclables ». Crédit : Sénat
« Mon père faisait de l’écologie sans le savoir »
La question environnementale, les savoir-faire d’exception, l’amour de la mode : c’est l’Oise, et c’est sa famille qui le lui ont appris. « Mon père faisait de l’écologie sans le savoir. La première chose qu’il a dite en voyant ma maison, c’est “il te faut un récupérateur d’eau”. Mon père, c’est le bon sens paysan, ces familles qui ont toujours fait attention, pris soin, sans en avoir l’air. »
Avec le vêtement, elle reproduit la culture familiale : « J'ai surtout des basiques, j’ai toujours eu des basiques. Un beau jean, un beau pull, je saute dedans et hop, dehors ! » Ce fameux « faire attention sans en avoir l’air ». « L’apparence vestimentaire, c’est encore plus important quand on est un élu rural. C’est le respect de la fonction, un respect que l’on montre à son interlocuteur par son vêtement », estime-t-elle, tailleur noir impeccable, sautoir délicat au cou et chaussures vernies aux pieds.
Ses vêtements, elle en prend soin comme on l’imagine prendre soin des fleurs de son jardin. « J’ai toujours aimé avoir peu de pièces, mais de belles pièces. Ça aussi, c’est familial. On prend soin, on garde, on valorise. »
« J’ai toujours des vêtements de mes 20 ans », s’amuse-t-elle. On l’imagine facilement, à 20 ans, d’un coup.
Toujours réutiliser les choses anciennes. Comme son père écologiste sans le savoir, Madame anti-fast fashion pourrait très bien s’appeler Madame Seconde Main. Son assistant parlementaire s’amuse, titille. Il veut raconter une anecdote. « Non mais vous savez qu’elle coud ? Un jour, je débarque dans son bureau ici au Sénat, et elle était en train de recoudre son pantalon ; un autre jour, c’était un bouton. » Madame la Sénatrice coud. « C'est mon plaisir de réparer », confie-t-elle. « Redonner vie aux vêtements, leur offrir une seconde chance, j’adore ça », s’enthousiasme-t-elle.
Elle sait non seulement coudre, « mais également travailler le cuir ! », ajoute, rieuse, celle dont on a bien senti le faible pour la maroquinerie de luxe. Ses sacs sont bien soignés, eux aussi. C’est chez Tilli qu’elle les fait réparer.

La sénatrice Sylvie Valente Le Hir visite l'atelier Tilli, aux côtés d’Ariane Renaud-Brûlé, la responsable des opérations de la start-up spécialisée dans la réparation, avril 2025. Crédit : Tilli.
Entre les stands des brocantes, la seconde main de maire en fille
Sa région fourmille de brocantes qu’elle aime arpenter, seule ou avec sa mère et ses filles. La fameuse brocante de Venette, dans la banlieue de Compiègne, apparemment, « il faut absolument y aller ». Une année, elle y a déniché une pépite : un sac Louis Vuitton, modèle Noé, à 50 euros. 50 euros ! « Et je vous promets que c’est un vrai ! », raconte-t-elle, le souvenir aux lèvres.
De maire de Tracy-Le-Mont à présidente de la communauté de communes des Lisières de l’Oise, Sylvie Valente Le Hir a eu le temps d’en arpenter des brocantes dans la région. C’est sa fille maintenant qui prend le relais. Elle s’y rend, elle aussi, pour s’acheter de jolies pièces. « Elle n’a pas les moyens, alors elle les déniche là-bas ou sur Vinted », explique l’élue.
L’été dernier, la jeune fille portait une robe de sa grande-tante, se rappelle sa mère. Une robe trois trous des années 1970. « J’étais heureuse de la voir comme ça. »
Dans les couloirs feutrés du Sénat, Sylvie Valente Le Hir poursuit son fil, malgré les faux plis que certains reprochent au texte réécrit. Elle recoud ses vêtements comme elle pèse ses mots : à petits points précis. À sa manière, discrète et appliquée, elle inscrit la seconde main dans le langage politique dans un hémicycle encore très conservateur.
Voir plus : De Zara à Shein, de l’Assemblée au Sénat : récit d’un an de lutte et d’évolution de la loi anti-fast fashion
Catégorie : Politique

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