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L’ex-Shein girl qui a retourné sa veste (et le système)

Maurane Nait Mazi
27 octobre 2025
27 octobre 2025
Temps de lecture : 6 min

ENTRETIEN

Ancienne influenceuse Shein, Claire Latour a participé à la promotion de la fast fashion : hauls, codes promos, colis gratuits devant la caméra. Aujourd’hui, elle documente le coût social et écologique de cette industrie et défend la seconde main. Dans un entretien à CM-CM.fr, elle revient sur sa bascule, le Ghana, l’argent et ce que veut dire influencer “autrement”.

Elle a fait vendre Shein avant d’en dénoncer les dégâts. Claire Latour, 29 ans, 134 000 abonnés sur Instagram et près d’un demi-million sur TikTok, fait partie de cette génération d’influenceuses qui ont grandi avec la fast fashion avant d’en dénoncer les dérives.

Entre 2018 et 2021, la créatrice de contenu a travaillé avec Shein mais aussi Boohoo et PrettyLittleThing, popularisant les hauls, ces déballages filmés où l’on exhibe les vêtements reçus de marques comme autant de trophées. Le confinement de 2020 marque un premier doute : temps suspendu, documentaires visionnés, conscience qui s’aiguise. En janvier 2022, elle publie une vidéo annonçant la fin de ses partenariats avec Shein. Deux ans plus tard, elle devient l’un des visages du documentaire Shein : enquête sur le géant de la fast fashion (France.tv Slash). À Accra, au Ghana, face à des montagnes de tissus en décomposition, elle mesure le “colonialisme moderne par les déchets”.

Depuis, Claire Latour a rompu avec les géants du low-cost et défend une consommation plus consciente, entre friperies, vintage et seconde main. Figure d’une génération d’influenceurs en rupture.

Comment on passe de "haul Shein" à "stop Shein" ? Shein ou seconde main, entretien avec Claire Latour

Ancienne influenceuse Shein, Claire Latour dénonce la fast fashion et défend la seconde main après avoir vu ses impacts au Ghana.

Claire Latour, ex-influenceuse Shein, en tournage pour Shein : enquête sur le géant de la fast fashion.

CM-CM.fr – Vous avez incarné le modèle fast fashion : achats en masse, liens affiliés, codes promos. Quel a été le moment exact où ça bascule ? Fatigue ? Morale ? Images choc ?

Claire Latour – Ce n’est pas un seul moment. C’est un glissement. J’ai grandi avec la fast fashion dans les années 2000 : on ne réfléchissait pas. Et puis le Covid arrive. Confinement = temps pour réfléchir. Je commence à regarder des contenus sur l’impact de la mode, je vois passer des infos sur Shein, sur les conditions de production, sur la surconsommation. Et là, ça gratte. Je me rends compte qu’on propose des vêtements pas chers, vite, tout le temps, sans se demander ce qu’il y a derrière. Je commence à comprendre que ça ne tient pas, ni écologiquement ni humainement. Mais c’est progressif. J’ai aussi une histoire personnelle avec la seconde main : petite, je portais les vêtements d’autres enfants, nos mamans faisaient du troc. Donc quelque part, la seconde main, ce n’était pas nouveau pour moi. C’est juste que je m’en étais éloignée parce que les réseaux sociaux poussent l’inverse : acheter encore et encore pour montrer “la tendance du moment”. Le vrai tournant, c’est quand j’ai commencé à trouver ça obscène de déballer trente articles juste pour faire du contenu. À partir de là, je ne pouvais plus faire comme si je ne savais pas.

Concrètement, comment on coupe ? Vous étiez identifiée à la fast fashion. On sort comment de l’engrenage sans perdre de plumes ?

C. L. – Je me suis forcée à le faire en public. J’ai posté une vidéo en annonçant : “J’arrête Shein, j’arrête ces placements.” Je l’ai fait exprès comme ça. Parce que si je le dis devant tout le monde, je ne peux pas revenir deux semaines plus tard en mode “haul Shein les gars”. C’était une façon de me tenir. Je n’ai pas négocié ça avec les marques avant. J’ai juste arrêté. À l’époque je bossais surtout avec Shein, Boohoo, PrettyLittleThing. Je savais ce que ça voulait dire : moins de colis gratuits, moins d’argent. Mais ça ne me ressemblait plus. Et la réaction ? Franchement, bonne. Pas d’énorme backlash. Pas de “tu fais semblant”. Pas de désabonnements massifs. Les filles ont dit : “C’est la bonne décision.” Certaines m’ont même écrit “tu m’as fait un électrochoc.” Ça compte. Après, est-ce que tout le monde est toujours d’accord avec tout ce que je fais aujourd’hui ? Non. Mais ça ne m’a jamais posé problème. Je n’ai jamais dit “je suis parfaite écologiquement”. Je dis l’inverse, tout le temps. Je mange encore de la viande. J’aime les beaux objets. Je reste quelqu’un qui a grandi dans la surconsommation. Je ne joue pas la militante pure. Je dis juste : je fais mieux qu’avant, je continue d’apprendre, et j’arrête de vendre du mensonge.

Dans le documentaire Shein : enquête sur le géant de la fast fashion, on vous voit à Accra, au Ghana. Vous arrivez au marché de Kantamanto, puis dans une zone de déversement textile, à ciel ouvert. On vous voit submergée. Qu’est-ce que vous avez vu exactement ? Et qu’est-ce que ça a fait ?

C. L. – Je savais que ce serait dur, qu’il avait un avant/après Ghana, mais pas à ce point. On a marché à travers les déchets textiles pendant 45 minutes avant d’arriver à cette “montagne”. C’était irrespirable : vêtements brûlés, des odeurs toxiques, jeunes qui vivent là, maisons en tôle, enfants avec des malformations. Des vaches qui mangent les tissus — et ces vaches, on les retrouve ensuite dans l’assiette. C’est violent. Ce qui m’a choquée le plus, ce n’est pas juste la pollution, c’est l’injustice. Ce que nous, en Europe, on met dans une benne “don”, ce qu’on revend, ce qu’on renvoie parce que “ça ne va pas la taille”, finit là. Là-bas, chez des gens qui vivent déjà dans une grande précarité. Et ce système tient parce qu’on inonde le marché de vêtements invendables. On appelle ça la “seconde main”, mais une grosse partie, ce sont des déchets textiles exportés. C’est du colonialisme : on exporte nos déchets vers ces pays et on laisse d’autres subir les conséquences. On ne voit pas ça sur Instagram quand on fait un haul. Après ça, tu ne peux plus dire que tu ne sais pas.

Voir : "Je n’achète pas de la seconde main pour l’écologie" : 5 actualités des réseaux sociaux
Lire aussi : La seconde main, selon Shein


Depuis, vous montrez autre chose : fripes, vintage, pièces prenium. Dans le documentaire, on vous voit chez Yallah Friperie à Paris avec Régina Daghman. Vous dites : "Avant je ne serais jamais rentrée là. Aujourd’hui je ne veux plus acheter ailleurs." C’est quoi, aujourd’hui, votre rapport au vêtement ?

C. L. – La seconde main n’est pas arrivée de nulle part pour moi. J’y suis revenue. J’achète vintage, je chine, je passe en friperie. Mais je veux aussi dire : tu peux surconsommer en seconde main. Je le vois chez certains créateurs de contenu : des hauls vintage toutes les semaines, 15 pièces chinées “trop des pépites” et qu’on ne remettra jamais. C’est le même réflexe : l’accumulation. J’ai eu ce moment-là aussi, au début de ma bascule : j’achetais beaucoup de seconde main pour remplacer la fast fashion. Maintenant, je réduis. J’essaie d’avoir des pièces que j’aime vraiment, que je porte longtemps, pas juste du “regardez ce que j’ai trouvé”. C’est là le vrai virage pour moi. Pas juste passer de Shein à Vinted.

Parlons argent. Parler de fast fashion comme d’un problème, dire publiquement "j’arrête Shein", ça a un coût ? On peut encore vivre de l’influence après ça ?


C. L. – La réalité : oui, il y a moins de collaborations quand tu arrêtes Shein, Boohoo, PrettyLittleThing. Forcément. Certaines marques ont peur. Et puis je me suis consacrée à la sortie du documentaire, pas à faire du contenu beauté ou mode tous les jours. Donc mécaniquement : moins de contenu = moins d’approches marques. Est-ce que je peux déjà dire “j’ai perdu X % de revenu” ? Non. C’est trop tôt. Il faudrait regarder sur un an. Mais je ne l’ai pas vécu comme un drame parce que j’ai décidé que ce ne serait plus ma seule source de revenus. Je suis dans l’influence depuis 8 ans, je diversifie mes activités. Je joue, je tourne, je suis comédienne, je veux travailler au cinéma.

Quand j’ai annoncé publiquement que j’arrêtais ces placements-là, je savais que je tournais la page. Aujourd’hui, je prends surtout la parole sur le fond : la fast fashion, l’impact, la responsabilité des créateurs. Des médias m’invitent, des plateaux télé, des conférences. On ne me demande plus “montre-nous les looks pas chers”, on me demande “explique-nous comment ce système fonctionne”. C’est déjà un autre rôle.

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Propos recueillis par Maurane Nait Mazi