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La seconde main, selon Shein

Maurane Nait Mazi
31 juillet 2025
31 juillet 2025
Temps de lecture : 7 min

Lancée discrètement dans l'Hexagone en juin 2024, la plateforme Shein Exchange se présente comme une solution responsable de revente entre particuliers. En réalité, elle fonctionne en vase clos et permet à la marque de garder la main de bout en bout sur ses produits. Portée par l’un des géants mondiaux de l’ultra fast fashion, cette initiative relève plutôt du récit que d’un virage de la marque.

Fondée en 2008 à Nankin par Xu Yangtian, ancien spécialiste du référencement SEO, Shein devient en moins de quinze ans l’un des leaders mondiaux du prêt-à-porter en ligne. D’abord spécialisée dans les robes de mariée, l’entreprise adopte un modèle "test-and-repeat" : lancement express de produits en série limitée, ajustés selon les données de tendance. Cette logique s’appuie sur l’analyse algorithmique et la sous-traitance ultra-réactive d’ateliers chinois.

En 2023, Shein franchit les 2 milliards de dollars de bénéfices et atteint 45 milliards de dollars de chiffre d’affaires brut (GMV), selon le Financial Times. Public Eye a tenté de cartographier l’organigramme opaque du groupe et les liens entre ses nombreuses filiales.

Chaque jour, des milliers de nouveaux produits sont mis en ligne pour plus d’un million de commandes expédiées. Présente dans plus de 150 pays, sans aucun magasin physique, Shein s’adresse à une clientèle connectée, sensible aux micro-tendances et aux prix ultra-compétitifs. Cette dynamique a fait de Shein une cible majeure des ONG environnementales, qui dénoncent un modèle fondé sur la surproduction, l’opacité de la chaîne d’approvisionnement, des pratiques sociales critiquées et un impact environnemental incompatible avec les enjeux climatiques.

Qui est Shein Exchange, la seconde main de l’ultra fast fashion ?

Depuis 2022, Shein déploie des initiatives dans le cadre de sa politique RSE : polyester recyclé, engagement « zéro carbone », fonds pour la circularité. C’est dans ce contexte qu’est lancée Shein Exchange, d’abord aux États-Unis, puis en France en juin 2024. Un an plus tard, dans une quasi-indifférence médiatique, CM-CM.fr dresse la fiche d’identité de la plateforme.

Fiche synthétique Shein Exchange disponible en fin d’article ⬇️

Un site de revente, pensé par Shein, pour l’écosystème Shein

Lancée en octobre 2022 aux États-Unis, Shein Exchange est présentée par le groupe comme un levier pour « renforcer la communauté » et « encourager une mode plus durable ». En réalité, il s’agit d’une plateforme fermée : seuls les articles achetés sur Shein peuvent y être revendus. L’acheteur, le vendeur, le produit et l’interface relèvent tous d’un même univers. Ce système dit de « closed loop resale » exclut toute interopérabilité avec d’autres marques ou communautés.

Le déploiement s’est fait par étapes : la France est le premier pays européen  - et à ce jour le seul - à proposer le service, lancé à l’été 2024, à la suite d’une annonce officielle de Donald Tang, président exécutif du groupe, dans Les Échos. Porté par un fort référencement et une stratégie publicitaire agressive, le site principal de Shein est omniprésent sur Google. En revanche, Shein Exchange reste quasi absent.

Lire aussi : Le Relais Est, Label Emmaüs, Vestiaire Collective : la seconde main détourne la pub Shein "la mode est un droit"

Une technologie en marque blanche par Treet

La plateforme Shein Exchange repose sur la technologie de Treet, start-up américaine fondée en 2020 et spécialisée dans les outils de revente en marque blanche. Selon ses déclarations, Treet collabore avec plusieurs marques engagées dans des démarches circulaires, comme Girlfriend Collective, Ministry of Supply, Boyish, Elizabeth Suzann, Galia Lahav ou Portland Leather Goods.

Dans ces cas, la revente est pensée comme un service intégré, aligné avec l’identité de marque, conçu pour prolonger la durée de vie des produits et fidéliser la clientèle. Chez Shein, il s’agit plutôt d’étendre un modèle de production rapide, peu durable et difficilement réparable.

2024 : Shein lance sa seconde main en pleine controverse politique

Le lancement de Shein Exchange en France coïncide avec une séquence parlementaire sensible : le dépôt, le 30 janvier 2024, d’une proposition de loi visant à encadrer la fast fashion, portée par la députée Horizons Anne-Cécile Violland.

Lire aussi : De Zara à Shein, de l’Assemblée au Sénat : récit d’un an de lutte et d’évolution de la loi anti-fast fashion

Alors que Shein figure parmi les cibles principales du texte, le groupe met ponctuellement en avant sa plateforme de revente comme signe d’engagement. Sur BFM TV, au printemps 2024, sa porte-parole en France, Marion Bouchut, évoque la seconde main dans un discours centré sur les engagements RSE.

Dans un entretien aux Échos, en juin 2024, le président exécutif Donald Tang vante la simplicité du service : « La transaction est très simple, car votre historique d'achat étant enregistré, il suffit d'un clic pour revendre un produit. » Il estime que ce système « favorise une économie circulaire ».

À ce jour, aucun indicateur n’a été publié : ni taux de revente, ni nombre d’utilisateurs.

Un test réalisé par notre rédaction en février 2025 révèle une plateforme peu intuitive, souvent redirigée vers le site principal de Shein. L’expérience ressemble moins à une solution circulaire qu’à une incitation à consommer de nouveau.

Lire notre retour d’expérience : Shein Exchange : on a testé le pire site de seconde main
Voir aussi : Lobbying contre la loi anti-fast fashion : Shein s’entoure des réseaux de Bolloré

La seconde main pilotée par l’ultra fast fashion

Shein Exchange marque une étape supplémentaire dans l’évolution de l’ultra fast fashion et offre une alternative aux géants de la revente comme Vinted ou Sellpy (société majoritairement détenue par H&M). Ce positionnement stratégique permet à Shein de conserver un contrôle total : sur l’image de ses produits, sur leur revente — et leur vente via un système fermé renforcé par des pratiques de retargeting sur le site principal —, ainsi que sur le récit associé à la durabilité de ses produits.

En somme, une plateforme de revente conçue non pas pour freiner le rythme, mais pour prolonger un modèle fondé sur l’accélération extrême des flux marchands. Un outil fermé, intégré à son écosystème algorithmique et commercial, qui vise moins la circularité que la maîtrise du récit. Shein anticipe les critiques et les régulations à venir en adoptant le vocabulaire de la durabilité, sans modifier ses fondamentaux : prix bas, rythme effréné, matériaux bon marché et non durable.

Shein Exchange ne transforme pas l’économie du vêtement jetable de l'intérieur. Elle la pare des mots de la seconde main — jusqu’au lexique du luxe, “pre-loved” (déjà aimé) — sans en assumer les exigences.

Fiche d’identité

Nom : Shein Exchange
Origine : Chine
Fondateur
: Groupe Shein
Type de platefome : C2C
Technologie
: Plateforme développée par la start-up américaine Treet
Produits concernés : Uniquement les articles Shein
Positionnement affiché
: Faciliter la revente entre particuliers dans une logique responsable
Objectifs implicites
: Renforcer le contrôle de l’image de marque, s'approprier les récits de durabilité – sans modifier le modèle
Lancement : Octobre 2022 (États-Unis)
Déploiement international : France (juin 2024), Royaume-Uni et Allemagne annoncés pour 2024 (non déployés à ce jour)

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Catégorie : Business

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