En pleine période estivale, l’ancien député insoumis François Ruffin s’empare d’un dossier rarement abordé par les responsables politiques : la crise du réemploi et du recyclage textiles. Face aux difficultés du Relais, il met en cause les grandes enseignes et dénonce un financement insuffisant. La mobilisation des salariés, visible sur le terrain, rappelle par certains aspects celle des Gilets jaunes.
L’été 2025 marque un tournant pour la filière française du réemploi textile. Le 13 juillet, Le Relais — réseau associatif historique de collecte et de tri — a suspendu ses collectes sur tout le territoire, invoquant une situation financière « intenable ». Moins d’une semaine plus tard, François Ruffin s’est rendu à L’Étoile, dans la Somme, pour alerter sur la menace qui pèse sur 110 emplois locaux et près de 2 000 au niveau national. L’effondrement des débouchés à l’export, la saturation des stocks et un coût de tri estimé à 304 €/tonne, supérieur à la prise en charge actuelle, aggravent la crise. En creux, cette mobilisation porte les traits d’une colère sociale partie du terrain, incarnée par des gilets fluorescents — une image qui rappelle celle des Gilets jaunes.
Kiabi, Décathlon « ont déjà tout le gâteau », Refashion dans le viseur
Au cœur du conflit, l’éco-organisme Refashion, chargé de financer la filière via l’éco-contribution payée par les marques. Selon le député, des enseignes comme Kiabi, Okaïdi ou Decathlon reversent « trop peu » : trois centimes par vêtement collecté. Une contribution « dérisoire », estime-t-il, face aux besoins réels. Refashion conteste ces chiffres, mais reconnaît que la hausse des volumes et la baisse des débouchés fragilisent le modèle.
Dans une vidéo tournée le 21 juillet, François Ruffin accuse les grandes enseignes : « Ils ont déjà tout le gâteau, ils ne veulent même plus partager les miettes. » À ses côtés notamment, Marie-Christine, salariée du site, craint de « mettre la clé sous la porte ».

Un combat social et politique de plus pour l’élu
Élu en 2017, François Ruffin s’est imposé par ses combats sur le pouvoir d’achat et les conditions de travail. En juin 2025, il a lancé « Debout ! », déclinaison nationale de « Picardie Debout ! », avec l’objectif de porter la gauche à la présidentielle de 2027. Dans le dossier du Relais, il inscrit la fripe et le réemploi textile à son agenda, fidèle à sa méthode : présence sur le terrain, mise en récit et interpellation publique. Il met en avant le contraste entre la fragilité des structures de l’économie sociale et solidaire et la puissance financière des groupes qu’il met en cause.
La famille Mulliez, propriétaire de Kiabi, Decathlon, Auchan ou Intersport, figure à la 8ᵉ place du classement Challenges 2024, avec un patrimoine estimé à 25,9 milliards d’euros. Lors de sa visite, l'élu feuillette le magazine devant la caméra, soulignant ce qu’il considère comme un décalage frappant entre fortunes accumulées et difficultés des opérateurs de terrain.

Cette confrontation trouve aussi un écho dans les débats autour de la loi anti-fast fashion. Dans un entretien accordé à CM-CM.fr quelques mois plus tôt, sa rapporteure, Sylvie Valente Le Hir, sénatrice LR de l’Oise, justifiait l’exemption de certaines enseignes des obligations prévues par le texte adopté en première lecture à l’Assemblée nationale et alors en attente d’examen au Sénat :
« Je ne veux pas toucher d’un centime une entreprise comme Décathlon ou Kiabi. […] La rencontre avec Kiabi m’a touchée. C’est une marque qui s’occupe de chaque consommateur, chaque habitant de nos territoires, de l’enfant à la personne âgée. Je ne veux pas toucher ces gens d’un centime. »
Un discours qui tranche avec celui des opérateurs textiles. Au Relais, les collecteurs et trieurs peinent à couvrir leurs coûts, affirme l’organisation dans ses communiqués.
La fripe comme ligne de front
Fin juillet, le gouvernement a annoncé une aide de +67 €/tonne en 2025, portée à +72 €/tonne en 2026, soit entre 49 et 57 millions d’euros. Pour Le Relais, ces montants restent très en deçà des 304 €/tonne que coûte réellement le tri. Les opérateurs de tri, reconnaissables à leurs gilets fluorescents, évoquent un « déséquilibre croissant » : charges de travail en hausse, recettes insuffisantes, profits concentrés ailleurs. Après un arrêt début juillet et une grève entamée le 15, l’activité a repris progressivement à partir du 24 juillet, à la suite de l’annonce de l’aide gouvernementale.
Sur le site de L’Étoile, François Ruffin établit lui-même le parallèle : « Prenez les ronds-points, les autoroutes… et vous distribuez des habits. » Par cette formule, il rapproche la situation des salariés du Relais de celle des Gilets jaunes : une mobilisation partie du terrain, incarnée par des gilets voyants, dénonçant un système jugé inéquitable. Quelques jours plus tôt, Le Relais avait organisé une action coup de poing, déposant des vêtements sur les parkings d’enseignes de la grande distribution pour alerter sur ses difficultés. La scène évoque dans ce contexte une forme de Gilets jaunes de la fripe : collecteurs et trieurs en première ligne d’un secteur du réemploi textile au bord de la rupture.
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