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Portrait | La seconde main qui ne s'achète pas mais qui se troque

Maurane Nait Mazi
26 mars 2023
26 mars 2023
8 min

Agathe nous accueille à la Trocquerie, une boutique d'échange innovante sur l'Île de Nantes où tout est troquable. Cette Nantaise a imaginé une nouvelle manière d'aborder notre relation aux objets.

“ La Trocquerie, c'est mon nouveau chez moi. Ici on n'achète pas, on échange. “

Une boutique pas comme les autres, un concept unique en France, ouvert depuis presqu'un an. La Trocquerie attire depuis ses débuts l'attention des Nantais, mais aussi de la presse.

Suite à des études de communication et 8 ans dans la communication de structures culturelles, Agathe a embrassé l'entrepreneuriat social.

" À un moment donné, j'ai fait le tour de ce métier qui était cool. J'avais envie d'autre chose, de monter un projet de A à Z et de communiquer sur un produit qui porte mes valeurs. ”

La seconde main bien avant le troc

Agathe devant la Trocquerie à Nantes
Agathe devant la Trocquerie à Nantes, boutique de seconde main

Agathe est passionnée de seconde main.

“ Chez moi, c’est presque 100% seconde main. J’adore trouver des pépites en chinant dans les ressourceries, à Emmaüs, et dans des vide-greniers, les trouver me fait vibrer. “

Inutile de préciser qu'Agathe a transformé la boutique en un terrain de jeu en l’aménageant avec des matériaux récupérés et des objets de seconde main chinés localement.

La seconde main autrement : le troc

Consommer de la seconde main est une évidence pour elle. Travailler dans ce secteur aussi. Elle souhaite proposer une expérience différente des friperies, brocantes ou ressourceries, dont l'offre est déjà complète dans la métropole nantaise.

“ Nous surconsommons en seconde main car les prix sont accessibles, alors nous accumulons. ”

L’achat est bien ancré dans nos habitudes de consommation et Agathe souhaite contribuer à se distancier de la pression de création de valeur et de la surconsommation.

“ Je me suis demandé si l'on pouvait échanger les objets qui ne sont plus utiles chez soi, se déculpabiliser en continuant de consommer en raisonnant nos besoins, sans acheter. ”
“ Pour l’anecdote, un soir de pleine de lune pendant le confinement j'ai eu une fulgurance, l'idée de la Trocquerie ! "

L’engagement d’Agathe de lutter contre la surconsommation est salutaire et nous invite à repenser notre rapport à l’objet.

“ Un objet sort de ta maison, un objet rentre ! L'idée, c'est d'être le plus neutre possible dans ta consommation, tout en te faisant plaisir parce que tu acquiers de nouvelles choses. Et tu peux échanger à volonté. ”

Le CMCM d'Agathe

Le “moins” de “consomme moins” d'Agathe passe par la notion de détachement à l'objet.

" La Trocquerie s'intègre parfaitement dans ses valeurs de réduction. On consomme entre guillemet zéro. On ne rentre pas chez soi avec quelque chose en plus mais avec une nouvelle chose, sans avoir consommer en plus. "
Consomme moins de la seconde main
Consomme moins

Le “mieux” repose sur le réemploi qui fait intégrante de la vie d'Agathe.

" Je n'ai plus de neuf dans ma vie. Et cela fait du bien ! On s'enlève toute une charge lorsque l'on se détache du neuf. "
Consomme mieux de la seconde main
Consomme mieux

Le retour en force du troc

Le troc est un échange sans contrepartie monétaire. Il s'agit de l'opération économique par laquelle une personne cède la propriété d'un bien et reçoit en échange un autre bien.

Le troc est l’opération de commerce la plus ancienne de l'histoire, progressivement abandonné suite à la création d'unités d'échange tels que le sel, les coquillages, les minerais, puis la monnaie.

Boutique troc à Nantes

Entre dématérialisation de l’argent et nécessité de changer de modèle économique, le troc n’en a pas moins totalement disparu.

Il a pour avantage de se détacher de la valeur indicative de l’argent qui est souvent sujette à spéculation, ce qui ne reflète pas la vraie valeur de l’objet, et de créer des échanges dans une économie alternative basée sur la confiance.

Il permet aussi de donner une seconde vie à nos objets ou d’obtenir un service sans rien dépenser.

Un exemple de consommation vertueuse : échanger plutôt que d’acheter

Le troc peut paraître complexe car il nécessite de trouver la personne qui possède ce que l'on cherche et qui est prête à se déposséder de l'objet que l'on projette de lui échanger.

  1. Les besoins d’au moins deux personnes doivent coïncider.
  2. Il faut s'accorder sur la valeur attribuée aux biens.

La Trocquerie permet de simplifier ces deux conditions de par le volume des produits disponibles pour faire un troc et son rôle d’intermédiaire exclusif avec ses usagers.

Porte ouverte de la boutique donnant sur la rue avec affichage de la Trocquerie et son fonctionnement
La Trocquerie

Résultat : c'est ludique, vertueux et surtout facile ! On vous explique.

Le concept original de la Trocquerie

La boutique s'auto-renouvelle par les échanges grâce à un système d’abonnement. Un abonnement à offrir ou à s’offrir.

Boutique originale de seconde main La Trocquerie

Lors des échanges en boutique, il n’y a pas d’opération financière. Inutile de sortir sa carte bleue pour repartir avec un jouet, c’est l’abonnement qui assure des revenus permettant le service de troc. C'est lui aussi qui aide à stabiliser les revenus de la Trocquerie. Plusieurs formules sont possibles, de l’accès journalier à l’abonnement annuel avec échanges illimités (le graal !).

Boutique originale de secodne main

Le concept de la Troquerie est en cela unique.

Il existe bien des boutiques et initiatives de troc et de prêts d’objets en France mais l’offre de ces enseignes est souvent réduite, limitée à certaines catégories d’objets. Par exemple, j’amène un vêtement, je pars avec un vêtement.

Trocquerie, boutique originale d'objets de seconde main à Nantes

Ici, tous les objets qui sont en bon état sont acceptés et toutes les combinaisons sont possibles :

vêtement - sac à dos
violon - jeux de société
chaussures - bougie

Le principe du troc en schéma

Clémene invitée de CMCM et abonnée de la Trocquerie tenant dans sa main un sac qu'elle a troqué
Clémence Aulas, abonnée de la Trocquerie, y a par exemple adopté un sac vintage en l’échangeant contre des ustensiles de cuisine. Lire aussi : Portrait d'une ancienne accro au shopping | Clémence, religion "seconde main"

Agathe a remporté plusieurs prix pour le concept de la Trocquerie et a reçu la visite de nombreux médias régionaux et nationaux. Elle assure seule depuis l’ouverture collecte sur place, ainsi que la valorisation des objets en prélude du troc et la mise en rayon tout en accueillant du public. C’est donc à Nantes qu’il faut se rendre, ici-même, pour troquer à grande échelle, du moins dans la boutique de 85 m2. Et s'il manque quelque chose, ce n'est certainement pas un objet.

Vertigineuse collecte pour toujours plus de circularité

Le principe du troc expliqué par Agathe
Agathe, fondarice de la Trocquerie, dans la boutique emcombrée par des objets d'occassion

Le jour du tournage Agathe rentrait un nombre d’objets journaliers record en boutique : 210. C’est au total plus 10.000 objets qui ont été déposés depuis l’ouverture.

Absence de valeur monétaire de l’objet grâce au troc

“ Ici ce n’est pas forcément un livre contre un livre. Tu ramènes un livre, ce qui correspond à une gommette bleue dans la boutique. Tu peux prendre n'importe quel objet avec une gommette bleue. “
Présentatoir avec des livres d'occassion
Présentatoir avec des livres d'occassion


À la Trocquerie, la valeur du produit échangé est décorrélée de son prix d'achat et même de sa valeur sur le marché.

C'est Agathe qui détermine la couleur de la gommette en fonction de plusieurs critères, notamment la rareté du produit en boutique.

“ L’idée est de se détacher de la valeur monétaire mais aussi sentimentale des objets et de privilégier l'éthique et la circularité. “
Affiche indiquant le fonctionnement de la Trocquerie avec des gomettes. L'affiche mentionne : La valeur des objets n'est pas la même pour tout le monde. La valeur du produit dans le trocquerie est considérée différemment de son prix d'achat. L'idée est de privilégier l'éthique et se détacher de la vleur monétaire et aussi sentimentale des objets. Les échanges sont catégorisées par un système de gomette à couleur : rose, violette, bleue
“ Par exemple, tous les vêtements ont la même couleur de pastille. Que ce soit une robe, un t-shirt ou un manteau, ils ont tous une pastille rose. L’idée est qu’on se fiche de la catégorie et de la marque. ”

Parce qu’il y a beaucoup de vêtements de seconde main en circulation sur le marché, Agathe détermine qu’un vêtement n’a pas autant de valeur qu’un vase vintage. C’est la loi de la Trocquerie !

Exit les pré-requis c’est une autre système ici. C’est la part belle à l’économie de la fonctionnalité, c’est-à-dire un système privilégiant l’usage plutôt que la vente.

Par exemple, le vendredi soir, vous pouvez échanger un objet contre un appareil à raclette, en profiter le week-end, puis échanger cet appareil contre un autre objet en début de semaine. Cette opération est infinie avec l'abonnement correspondant à 144 € par an.

“ Pour un enfant, il faut changer de vêtements tous les 3 mois et adapter les objets de puériculture, ici, on peut échanger au cours de son évolution. C’est un cercle vertueux. “
“ On n’est pas obligé d’acheter, d’acheter, il faut apprendre à se séparer des jouets pour en avoir de nouveau. “

Ce modèle induit une transformation profonde dans notre mode de consommation, un nouveau référentiel, et conduit à la mise en place d’écosystèmes.

Agathe et une usage de la Trocquerie en train de payer son abonnement

La Trocquerie, un lieu d’échange fixe, un commerce de proximité de l’île de Nantes et un tiers de confiance pour les usagers

C'est une expérience de boutique unique avec une offre de service en boutique et permanente qui distingue La Trocquerie des autres initiatives, notamment celles en ligne. Il est aujourd’hui possible de troquer avec mytroc.fr ; France-tro, Indigo, troc-échange.

Une application surnommée le “Tinder des objets”, comme la célèbre application de rencontre, a également vu le jour en 2016 mais n’est plus en service : Swopr. Elle mérite d’être citée pour son fonctionnement ludique basé sur le matching. Un système de photos de profil permettant de "liker" ou de passer les photos, avec un "like" réciproque entre deux propriétaires d'objets pour marquer l'échange. Nul doute qu’à la Trocquerie tu trouveras ton match parfait (avec des gommettes !)

Agathe qui sourit avec le panneau permanent de la boutique : Troque la vie

La boutique est implantée dans le quartier Wattignies sur l’île de Nantes, un quartier d’accueil et d’échanges depuis des décennies.

“ Être présente ici compte ! “

Si la boutique existe sur les réseaux sociaux c’est bien le maillage territorial et la valorisation des filières de l’économie sociale et de solidaire qui fait vibrer cette professionnelle engagée.

La Trocquerie, une entitée de l’Économie Sociale et Solidaire


Le concept d’Économie Sociale et Solidaire (ESS) désigne un ensemble d'entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations, ou fondations, dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d'utilité sociale. L’objectif poursuivi de la Trocquerie de développer la solidarité et le partage en adoptant le troc s’inscrit dans le cadre des structures de l’ESS.

Pour assurer une mixité sociale, Agathe a imagé une gamme d’abonnements au sein duquel on retrouve l’abonnement solidaire où le prix est libre pour les bénéficiaires du RSA, les étudiant et chômeurs.

" La nouveauté c'est la carte blanche de Nantes Métropole qui donne aussi accès au tarif solidaire. "

Cette professionnelle fait de son quotidien un défi pour rendre accessible son service, fidéliser les utilisateurs en continuant de proposer une offre constante, attirante et exclusive pour pérenniser son activité. Bientôt elle embauchera son double !

Don et troc, même famille

Agathe n'accepte que des objets en bon état. Si un objet ne peut pas être proposé à l'échange, il devra toutefois éviter la case déchet. Une zone de dons extérieure a été mise en place, où chacun peut se servir. Chaque jour, des passants y trouvent leur bonheur.

Agathe dans sa boutique à Nantes parlant à un usager

Deventure de la Troquerie avec l'espace " servez-vous, espace de don"

Aussi, le jour du dépôt, si un usager ne trouve pas de pièces, de l’équivalent des échanges :

  • il peut garder la quantité manquante en crédit pour une prochaine visite en fonction de l’abonnement
  • il peut faire don de la différence par un échange suspendu, à l’instar du café suspendu*.

*Un geste solidaire par lequel le client d’un bar prépaye un café destiné à une personne dans le besoin qui en fait la demande.

Agathe a pensé le projet répondant aux enjeux territoriaux, sociaux mais aussi environnementaux. Sensibilisation à la surconsommation en boutique et une économie sans colis à expédier ni à recevoir. L’impact environnemental de chaque transaction est en cela très limité.

Qu’est-ce qu’on échange à la Trocquerie ? On veut voir !
Agathe illustrant le troc : une casserole contre un jeu de société d'occassion
“ Par exemple, si tu apportes cette casserole, cela correspond à une gommette violette dans la boutique, tu peux partir avec ce jeu. “
Chaussures occassion troc Nantes
“ Échange ces chaussures contre cette robe à paillettes ”
Robe de seconde main troc Nantes

Toutes deux de marques.

" Mais ça, on s'en fiche ! C'est juste pour montrer aux habitués des marques qu'il y a des beaux trucs !

Attention, le troc peu devenir un jeu, auquel la rareté de certains objets fait savourer ses meilleures trouvailles.

" La devise de la Trocquerie : plus tu ramènes des trucs cools, plus tu pars avec des trucs cools. ”
Agathe sur le pas de la Trocquerie qui est ouverte
Heures d'ouverture de la trocquerie
Où retrouver Agathe ?

En boutique : La Trocquerie
23 Rue Petite Biesse, 44200 Nantes

Et ne lui demande pas le prix !

Photos et interview Maurane Nait Mazi

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