Fondée par deux sœurs et une amie d’enfance, Reusses propose un modèle singulier dans la seconde main : professionnaliser la revente entre particuliers sur un schéma proche de la vente à domicile. Loin des levées de fonds massives et des success stories dopées à la croissance, l’entreprise avance à petits pas, avec patience, méthode… et peu de moyens. Voici les cinq leçons que sa cofondatrice, Céleste Coez-Blanchard, partage aujourd’hui à CM-CM.fr.
Et si bâtir une entreprise dans la seconde main ne passait ni par une app brillante, ni par un pitch calibré pour investisseurs ? Depuis trois ans et demi, Reusses trace une autre voie. Ni marketplace, ni friperie, mais un réseau de femmes qui vendent pour les autres, en appliquant les codes du commerce. Cette structure autofinancée et familiale évolue à contre-courant. Son credo : la “logique de l’écureuil” — avancer par étapes, faire avec peu, ne pas brûler les étapes.
Reusses : la seconde main auto-financée et patiente, pensée comme un réseau
À l’origine : deux sœurs, une amie de toujours, et une intuition. Celle qu’un service de revente externalisée — pensé pour les particuliers débordés — pouvait devenir un vrai métier. De cette idée née Reusses, cofondée par Céleste Coez-Blanchard, Tara Dabinovic et Victoire Zviak-Jacquet. Deux sœurs, et une amie de toujours devenue sœur d’adoption. Le nom lui-même est un clin d'œil : Reusses (sœur en verlan) organise la mise en relation entre des particuliers et des “Reusses” — ces femmes formées pour trier, estimer, valoriser et revendre les vêtements des autres. Leur terrain de jeu : Vinted, Vestiaire Collective, des vide-greniers, les réseaux sociaux et bientôt, peut-être, un marché à part entière.
Reusses est un service pensé pour celles et ceux qui n’ont pas le temps ou l’envie de trier leur vestiaire. L’entreprise avance sans levée de fonds, elle croit aux petits pas et à une stratégie d’endurance. Pour CM-CM.fr, Céleste Coez-Blanchard livre cinq leçons tirées de cette aventure collective, à la frontière entre la mission sociale et l’ambition entrepreneuriale.
1. Travailler en famille aide à gérer les égos et les crises
Chez Reusses, la confiance est là d’emblée. “On se voit tous les jours, donc le week-end, on ne se voit pas, la flemme”, sourit Céleste Coez-Blanchard, fille d’entrepreneurs, à qui l’on avait pourtant déconseillé d’entreprendre en famille. Pourtant, ici, travailler entre sœurs (et avec une amie de toujours) a ses avantages : les discussions vont droit au but, les décisions se prennent vite, et les désaccords n’enrayent jamais la machine.
“On n’est pas les plus rapides dans l’exécution mais on est résiliantes en famille. Et surtout, on ne s’est jamais arrêtées à cause d’un désaccord personnel.”
Cette sérénité repose sur une répartition limpide des rôles : technique, création, gestion. “On est faites du même bois”, résume Céleste. Même éducation, mêmes réflexes. Un socle commun qui empêche les jeux d’ego. “Trop d’aventures s’arrêtent à cause de conflits d’égo. Nous, on avance. Ensemble.”
Voir aussi : OMAJ en redressement judiciaire : les 5 leçons "entrepreneuriat dans la seconde main" du fondateur Paul Charon

Portrait des trois fondatrices de Reusses. De gauche à droite : Victoire Zviak-Jacquet, Tara Dabinovic et Céleste Coez-Blanchard. Crédit : Reusses
2. Adapter un vieux modèle pour innover plus sereinement dans la seconde main
Reusses n’est ni une friperie ni une plateforme. C’est un réseau de vente directe, inspiré du marketing relationnel — ce que l’on appelle aussi MLM (Multi-Level Marketing) — à la manière des réunions Tupperware, mais version 2025, appliquée à la seconde main. Ce modèle longtemps réservé aux cosmétiques, accessoires de cuisine ou aux appareils ménagers a été réinventé par Reusses pour revendre les vêtements des autres, pièce par pièce.
C’est un vieux modèle qui a fait ses preuves. Les “leaders” forment les nouvelles “Reusses”.
L’approche a même été remarquée lors de leur adhésion à la Fédération de la vente directe (FVD). La structure, qui regroupe notamment Vorwerk (Thermomix), Partylite ou Secrets de Miel, n’avait encore jamais accueilli d’acteur du réemploi textile. Autre particularité : la moyenne d’âge des ambassadrices Reusses, située entre 20 et 25 ans, signe un vrai rajeunissement dans le milieu de la vente par réseau.
Cette orientation professionnelle n’allait pourtant pas de soi. “Au début, on ne voulait pas admettre qu’on faisait un peu du modèle Tupperware”, reconnaît Céleste Coez-Blanchard. Les premières recrues voyaient l’activité comme un complément de revenu, souvent informel. Mais passé deux ans d’activité, les fondatrices ont compris qu’il fallait structurer, formaliser, assumer l’ambition. Chaque “Reusse” suit désormais un parcours de formation : photographie, estimation, relation client, mise en ligne. Celles qui montent en compétences deviennent “marraines” et accompagnent les nouvelles venues. Dernière innovation : la Reusse Academy, un programme interne pour poser les bases d’un nouveau métier — celui de revendeuse indépendante dans la seconde main.
3. Se passer des investisseurs, c'est formateur
Pas de business angel, pas de levée de fonds. Reusses s’est construite sans investisseurs extérieurs. Un choix assumé, loin du modèle dominant des start-up qui misent sur la croissance rapide, souvent financée par des levées de fonds en échange de parts de capital. “On a appris à tout faire, de la stratégie à la conception de l’appli maison”, explique Céleste Coez-Blanchard.
Le projet démarre avec quelques milliers d’euros de love money (l'argent de proches). À cela s’ajoutent des trésors de débrouille et de polyvalence : stratégie, communication, conception de leur propre application… tout est fait en interne. “On a appris à tout faire”, dit-elle simplement.
L’équipe a bien approché une banque au lancement : “Ils n’ont pas voulu nous suivre.” Depuis, les fondatrices ont renoncé à l’idée d’un financement classique. Reusses avance à son rythme, en ajustant son modèle économique à chaque étape. Ce fonctionnement impose des sacrifices. “On se paye très peu”, reconnaît Céleste Coez-Blanchard. Mais il permet aussi une maîtrise totale du projet. Pas de pression d’investisseur, pas de feuille de route imposée. “On fait un métier de masse, qui repose sur du volume et du temps. Pas sur des rendements immédiats.”
“On est dans une logique de petits épargnants, la logique des écureuils.” Une lenteur assumée, un ancrage réaliste dans le quotidien.
4. Prendre la parole, même quand on doute
Longtemps, l’équipe n’a pas pris la parole sur le modèle Reusses.
"On ne se sentait pas légitimes. On ne fait pas de l’écologie, on revendait aussi du Zara.", explique Céleste Coez-Blanchard.
Mais fin 2024, tout change. La cheffe d’entreprise commence à s’exprimer régulièrement sur LinkedIn, épaulée par Monagram Agency, l’agence fondée par Mona Boujtifa, ex-dirigeante de Resap, une start-up d’upcycling liquidée la même année. L’impact est immédiat : +20 % de clientes grâce aux posts ; les médias généralistes s’intéressent au modèle.

Depuis, Reusses mise sur une prise de parole incarnée. TikTok, Instagram, LinkedIn : les “Reusses” partagent aussi leurs quotidiens. Une vidéo TikTok a même attiré 800 nouvelles inscriptions, raconte une des co-fondatrices. Le bouche-à-oreille et cette présence sur les réseaux sociaux sont devenus de véritables moteurs de croissance.
5. S'adapter à la fast fashion sur les plateformes ou couler
La revente entre particuliers est souvent présentée comme un geste simple, rapide, et rentable. Mais chez Reusses, la réalité du terrain a vite rappelé ses limites.
“Sur Vinted, on passe 25 minutes à vendre un H&M à 8 €. C’est intenable.” Céleste Coez-Blanchard souligne l’incompatibilité entre le temps de travail requis et la faible valeur de ces vêtements.

Portrait des trois fondatrices de Reusses. De gauche à droite : Céleste Coez-Blanchard, Victoire Zviak-Jacquet et Tara Dabinovic. Crédit : Reusses
Face à cette équation perdante, les fondatrices ont tranché : ne plus accepter de pièces en dessous d’un prix plancher. “On a dit : OK, on ne prend plus rien à moins de 8 €, puis 10 €. Ça a éliminé une grosse partie de l’ultra fast fashion.” Ce choix marque une inflexion stratégique : filtrer les apports pour ne conserver que les pièces susceptibles d’augmenter le panier moyen des revendeurs et la commission de l’entreprise qui joue l’intermédiaire. Cette exigence permet aujourd’hui aux “Reusses” les plus investies de se professionnaliser plus rapidement. Résultat : Reusses monte en gamme.
Cet article s’inscrit dans notre série dédiée à l’entrepreneuriat.
→ 🖤 5 leçons : l'entrepreneuriat dans la seconde main


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