Créée en 2015, liquidée en 2025. Monogram Paris, plateforme iconique d’articles de luxe d’occasion, tire sa révérence. Difficultés, accusations, procédures : la chute est brutale.
Portée par Beverly Sonego, entrepreneuse star sur les réseaux sociaux, Monogram Paris a imposé un modèle inédit, à la croisée du dépôt-vente, du digital et de l’influence. Boutique physique, live shopping, site marchand, académie de formation : la marque visait à réinventer la revente de luxe en y injectant narration, accessibilité et contenu. En 2023, tout semble s’accélérer : trois millions d’euros levés, des pop-up aux États-Unis, des ventes en direct suivies par des milliers de clientes. Mais l’élan masque des tensions.
Deux ans plus tard, tout s’effondre. Le site passe en maintenance. Sur les réseaux, les rumeurs vont bon train. Le 27 juillet, dans une série de stories sur fond noir, la fondatrice officialise la liquidation judiciaire : « Monogram ne se relèvera pas. » Retour sur une ascension fulgurante — et sur les failles d’un modèle ultra-exposé.
1. Ascension : l'apparition d'une star du luxe dans la seconde main
Derrière Monogram, il y avait un lieu et une voix. En 2021, le dépôt-vente ByLuxe devient Monogram Paris, installe sa boutique avenue Victor Hugo (160 m²), et bâtit un modèle inédit : un commerce adossé à une narration continue, animée en personne par sa fondatrice, Beverly Sonego.
Chaque semaine, elle présente les pièces en live, répond aux clientes en direct, partage les coulisses du métier. Monogram, ce n’est pas seulement un stock : c’est un univers en ligne, façonné à coups de stories, de reels et de tournées pop-up. À Los Angeles, New York, Bruxelles, la marque organise ses propres événements. À Paris, elle lance même une académie en juin 2024. Facturée jusqu’à 2 690 € hors taxe, la Monogram Academy forme une communauté d’"ambassadeurs" du luxe circulaire.
La réussite Monogram apparaît dans 50' inside, Challenges, Marie Claire...
Le concept intrigue : une friperie chic qui parle comme une influenceuse, vend comme une boutique, et forme comme une école.
En 2022, l’entreprise revendique un chiffre d’affaires de 9,3 millions d’euros. En 2023, elle boucle une levée de près de 3 millions d’euros auprès d’un pool de business angels. L’objectif est audacieux : passer à l’échelle, sans renoncer à l’intime.
« Le luxe accessible » devient plus qu’un slogan : une promesse scénarisée, jouée en direct depuis un dépôt-vente devenu plateau. Sacs de marque, conseils personnalisés, et paiement en 10 fois sans frais : la seconde main entre dans l’ère du marketing live.
2. Sacs "VIP gifts" et doutes sur l’authenticité : l’épine dans le cuir
Dès la fin 2023, les premiers signaux de crise apparaissent. Revue 21 met au jour la revente de "VIP gifts" Chanel, des produits non destinés au commerce. Leur présence sur le marché de la seconde main contrevient aux règles des maisons de luxe et fragilise la confiance dans l’authenticité des pièces.
Le média Glitz fait état de doutes croissants sur la fiabilité des offres Monogram et des soupçons de contrefaçon. « Dès qu’une tendance de contrefaçon arrive sur le marché, on la retrouve chez Monogram », déclare une source anonyme dans Glitz.
En 2024, un client VIP a assigné Monogram en justice après avoir découvert que plusieurs articles qu’il avait déposés avaient été vendus sans son accord ni règlement. Le tribunal de Paris a donné raison au client, dans ce qui constitue un jugement inédit sur les responsabilités des dépôts-ventes de luxe. Face à ces accusations, l'entreprise évoque des « erreurs de stagiaires » ou un « bug informatique » comme explications.
Le dépôt-vente défend son image et tente d’endiguer la crise : lancement d’un certificat maison, renforcement du service après-vente, multiplication des lives.
3. Surcharges, retards et braquages : les failles logistiques de Monogram
En parallèle, les tensions logistiques et humaines s’intensifient. Le rythme d’entrée des dépôts (près de 800 articles/mois selon 2C Finance) met les équipes sous pression. Les délais de traitement s’allongent, les réclamations se multiplient.
Entre 2024 et 2025, trois braquages frappent la boutique, dont un à main armée début juin 2025, obligeant l’équipe à suspendre temporairement l’activité.
L’entreprise tente de se réorganiser : restructuration interne, relances marketing, formation de nouveaux stagiaires, fermeture du corner Galeries Lafayette. Mais le modèle peine à retrouver un point d’équilibre.
« Malgré des efforts surhumains, une réorganisation interne, un chiffre d’affaires certes important, nous n’avons pas réussi à atteindre la rentabilité espérée », écrit la fondatrice en story.
4. Liquidation Monogram en story
Le 24 juillet 2025, le Tribunal de commerce de Nanterre prononce la liquidation judiciaire de Monogram, sans poursuite d’activité. Le lendemain, sur Instagram, Beverly Sonego annonce la fin, en story sur fond noir : « Chère communauté, je brise le silence, et ce n’est pas chose simple. (…) Mon cœur saigne. »

L’entrepreneuse évoque des difficultés économiques, l’insécurité, et la solitude entrepreneuriale et remercie son entourage. Capture d’écran du compte personnel Instagram de Beverly Sonego (@therealbev), le 25 juillet 2025
Le site passe en maintenance, le stock est gelé. Un mail détaille les démarches légales : déclaration des créances sous deux mois pour les résidents français (quatre mois pour l’étranger) et revendication des biens déposés sous trois mois, le tout auprès du liquidateur, la SELARL Hart de Keating. Les restitutions seront supervisées par un commissaire de justice.
Dans ses stories, Monogram enjoint à « suivre scrupuleusement la procédure » et promet de « collaborer pleinement » avec le liquidateur. Les délais sont dits impératifs.
Mais les inquiétudes ne faiblissent pas. Sur Threads et Instagram, des clientes dénoncent des paiements en retard, contestent l’authenticité de certaines pièces ou signalent des litiges non réglés. Une mentionne un différend de 7 000 euros autour d’un sac Chanel contrefait.
Dans l’urgence, un groupe baptisé Monodrame se crée pour fédérer les plaintes. Dans les discussions privées, circulent lettres types et contacts d’avocats. Le récit entrepreneurial vire au contentieux.
5. Ce que dit déjà la fin de Monogram
Dix ans d’un modèle pionnier - et inachevé - qui laissent des clientes en attente, des dépôts à restituer, des créances à recouvrer. Monogram a remodelé les codes du dépôt-vente de luxe : accélération de la revente de sacs haut de gamme, professionnalisation du secteur (certificats, formations, "content commerce"). L’entreprise illustre, malgré elle, les fragilités d’un modèle dépendant de l’image. Aucune autre enseigne n’avait autant mêlé boutique physique, réseaux sociaux et communauté.
Ce pari s’est brisé sur trois failles : un modèle économique exploratoire, encore en recherche d’équilibre, des tensions persistantes sur la qualité, une exposition accrue aux crises sécuritaires. Une faillite qui pourrait sonner comme un avertissement pour le luxe circulaire.
Voir notre série : Les 5 leçons d'entrepreneuriat dans la seconde main
Lire aussi : "Logique de l'écureuil" : les 5 leçons de Reusses pour entreprendre dans la seconde main en famille et sans investisseur
Catégorie : Business

→ 🖤 CM-CM.fr est le premier média d’information sur la seconde main. Vous pouvez vous abonner à la newsletter ici