CM-CM.fr vous explique simplement l'économie circulaire, en détaillant les enjeux et conséquences de cette économie, mais aussi les solutions à mettre en place.
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On ne peut pas aborder le concept d’économie circulaire sans définir d'abord ce que l’on appelle l’économie linéaire.
L’économie linéaire est notre système économique actuel, qui repose sur le principe d’extraire des ressources pour produire des biens matériels, qui sont distribués à des utilisateurs qui utilisent ces objets, pour finalement les jeter.
Ce système est en réalité assez récent, datant du début de l’industrialisation, qui a permis de produire toujours plus en ne se souciant ni de la raréfaction des ressources, ni de l’accumulation des déchets.
En effet, notre système économique se base sur le postulat, erroné, des ressources infinies de Jean-Baptiste Say, économiste du XIXe siècle. Il a posé, en 1803, les fondements d’un système qui s’oppose par définition aux logiques de la Nature avec sa citation bien connue : "Les richesses naturelles sont inépuisables, car sans cela nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être ni multipliées, ni épuisées, elles ne font pas l'objet des sciences économiques."[1]
C’est ainsi que nous avons développé un système qui fait fi des sujets touchant aux ressources et aux déchets.
Aujourd’hui, malgré l’engouement et la communication massive autour du recyclage et de solutions pour limiter les déchets, notre modèle est quasiment totalement linéaire.
En effet, l’indice de circularité de notre monde est de 7,2% en 2023.[2] Cela signifie que, sur l’ensemble des ressources extraites en une année, seules 7,2% sont réintégrées dans le cycle de consommation, principalement grâce au recyclage.
Le mode linéaire est donc loin d’être un mode de consommation marginal de nos jours !
L’économie linéaire, tout ça pour ...
On pourrait croire que les conséquences ne se limitent ici qu’aux ressources et aux déchets, ce qui serait déjà énorme.
En effet, les sols sont artificialisés, les « réserves »[3] de ressources fossiles diminuent, et les déchets s’accumulent. Pour donner une idée, l’humain moyen a une empreinte matière annuelle d’environ 12 t de matériaux vierges, ce qui fait que l’humanité extrait près de 100Gt de matière chaque année.[4]
Mais les conséquences de l’économie linéaire vont bien plus loin : les impacts sur l’être humain et son environnement sont présents tout au long de cette chaîne. L'extraction des matières, réalisée par des ouvriers dont les conditions de travail et de santé peuvent être douteuses, demande bien souvent la destruction d'habitats naturels. La transformation de matière pour fabriquer des objets requiert une grande quantité d’énergie et un nombre important d’intrants chimiques, qui impactent la santé humaine, la biodiversité, et polluent l’eau. L’économie linéaire a également des conséquences sur les 9 frontières planétaires définies par le Stockholm Resilience Centre, dont 6 sont déjà dépassées.[5]
De plus, l’économie linéaire est évidemment mère de conséquences sociales désastreuses. Elle repose sur un système d’exploitation, non seulement de la Nature et de ses ressources, mais aussi de certaines populations, notamment des pays dits du Sud pour produire des biens de consommation à destination des pays dits « du Nord ». Elle exacerbe les inégalités sociales en favorisant l’achat à prix toujours plus bas, avec les semblants de salaires qui vont avec.[6] A cela s’ajoutent les tensions géopolitiques sur les ressources en déplétion, qui aggravent les enjeux sociaux, de sécurité et de santé.[7]
Enfin, l’économie linéaire est extrêmement reliée à nos émissions de gaz à effet de serre (GES). La fabrication des biens matériels, comprenant l’extraction des matières premières, leur transformation, et la distribution, représente bien souvent la majorité des émissions sur l’ensemble du cycle de vie du produit. Par exemple, pour le numérique, 75% de l’empreinte carbone d’un smartphone est due à sa production.[8] Pour les vêtements, 70% de l’empreinte carbone est due à la fabrication.[9] Enfin, pour les bâtiments neufs, 60% de l’empreinte carbone provient des matériaux.[10]
Économie linéaire : quelles solutions ?
C’est là que l’économie circulaire rentre en jeu.
Elle est définie comme « une consommation sobre et responsable, à partir d’une utilisation raisonnée des ressources naturelles et des déchets ».[11]
Concrètement, l’économie circulaire s’oppose à l’économie linéaire en s’articulant autour de 7 piliers, répartis en 3 axes.[12]
Avant même de rentrer dans le détail de solutions, comme le réemploi, la réutilisation, le recyclage, les circuits locaux, les matériaux recyclés, il est important de comprendre que l’économie circulaire consiste en une remise en question de nos consommations. Telle que définie actuellement, l’économie circulaire est tout à fait compatible avec une économie de la décroissance, et rien dans sa définition, selon l’ADEME, ne dit qu’elle doit se faire dans un contexte de croissance économique.[13]
Pour être dans une démarche de stratégie circulaire cohérente, il faut analyser les impacts des biens que l’on produit sur tout leur cycle de vie. Actuellement, on ne se concentre malheureusement que sur les déchets, avec le processus de recyclage, mais pas encore assez sur la production et l’utilisation.
Comme rappelé plus haut, c’est pourtant la production qui est le plus problématique en termes d’impacts. Il faut donc d’abord se questionner sur le besoin de produire, afin d’éviter la surproduction et le gaspillage. Pour ne donner qu’un seul chiffre sur le gaspillage : on gâche plus d’1/5 de notre production alimentaire, alors que plus de 800 millions d’êtres humains vivent encore en sous-nutrition.[14]
« Une fois le besoin analysé, se pose la question de comment y répondre. Doit-on obligatoirement produire un nouvel objet ? Ne peut-on faire avec l’existant ? Si on a besoin de percer un trou dans le mur, ne peut-on emprunter une perceuse, plutôt que d’en acheter une ? »
Ce serait plus logique, étant donné que la durée d’utilisation moyenne d’une perceuse est de 12 min.[15]
C’est ce qui s’appelle l’économie du partage et de fonctionnalité[16], un des piliers de l’économie circulaire, qui appelle à considérer nos besoins par l’usage au lieu de voir par le prisme de la possession : on n’a pas besoin de posséder une voiture, mais de se déplacer ; on n’a pas besoin de posséder des vêtements, mais de se vêtir pour se protéger ; on n’a pas besoin de posséder une imprimante, mais on a besoin d’imprimer des documents.
Enfin, s’il s’avère que nous devons produire un nouvel objet, alors il convient de se poser la question des impacts générés, et de la façon dont on peut les éviter ou diminuer.
En amont, lors de la production, on peut éco-concevoir l’objet, s’approvisionner en matériaux locaux, durables, et biosourcés. On peut ensuite allonger la durée d’utilisation, en prêtant, partageant, troquant, réparant, réemployant, rénovant le bien. Enfin, une fois que le bien est arrivé au stade de déchet, donc à la fin de sa première vie, on peut le réintroduire dans le circuit circulaire, grâce à la réutilisation, le reconditionnement, le recyclage, le compostage, ou encore la méthanisation.
Cette méthode est celle de la value hill (ou « colline de la valeur »), que vous pourrez découvrir plus en détails lors d’un atelier de la fresque de l’économie circulaire.[17]
Zoom sur la fin de vie
Quand les politiques ou entreprises parlent d’économie circulaire, ils mettent l’attention sur la fin de vie et le recyclage. Il est pourtant essentiel d’avoir en tête la hiérarchisation du traitement de la matière, car tous les modes de traitement ne se valent pas en termes de valorisation.
Cette pyramide inversée suit une certaine logique, celle de faire avec l’existant, pour préférer la solution qui valorise le plus la matière. Elle s’applique de manière générale aux biens de consommation, mais peut aussi s’appliquer à l’individu sous la forme de la pyramide des 5R du Zéro Déchet, popularisée par Béa Johnson.[18]
Si le recyclage est une solution dont on ne peut se passer, il est important d’être conscient de ses limites. Tout d’abord, le recyclage n’intervient qu’au stade de déchet, et ne peut donc rien pour réduire la quantité de déchets produits.
Son rôle est d’essayer de limiter la quantité de matière première extraite, en refaisant de la matière à partir de déchets. Mais, dans les faits, c’est un processus complexe, demandant des infrastructures sophistiquées, et beaucoup d’énergie.
De plus, nombreux sont les composants que le consommateur croit recyclables, mais qui sont en réalité mélangés et collés avec d’autres, ce qui empêche de les valoriser.
Il faut en effet faire la différence entre recyclable et recyclé, le deuxième nécessitant un tri efficace, des infrastructures spécifiques, et une viabilité financière.[19]
Enfin, cela ne remet donc malheureusement pas en cause notre rythme effréné de consommation, donc n’attaque pas le problème à la source, et expose à l’effet rebond [20] en faisant croire au consommateur que sa conscience est lavée.
Le recyclage est essentiel pour traiter les déchets résiduels, mais il est instrumentalisé par les entreprises et lobbies afin de prolonger un peu plus l’économie linéaire sans réduire la consommation ni la production.[21]
L’économie circulaire, plus proche que tu ne le penses !
La normalisation de l’économie linéaire comme système dominant nous a rapidement fait oublier l’économie circulaire qui date et que cette économie du tout jetable n’est qu’une anomalie de quelques décennies à l’échelle de l’histoire de l’humanité.
Un de mes exemples préférés est celui de la charpente de Notre-Dame de Paris, qui vient très probablement de bois de réutilisation, c’est-à-dire ayant eu une première vie avant son rôle de charpente.[22] Néanmoins, pas besoin d’aller dans les cathédrales pour retrouver l’économie circulaire.
« Avant », on usait ses vêtements jusqu’à la corde, on réparait ses chaussures, on ne connaissait pas l’obsolescence programmée, qu’elle soit technique, esthétique ou logicielle.[23]
L’économie circulaire n’est ni récente ni compliquée, elle est d’ailleurs le système le plus logique qui soit, notamment face aux différentes crises socio-environnementales auxquelles nos sociétés font face.
Dans votre vie de tous les jours, de nombreuses solutions sont possibles. Une des plus connues est le zéro déchets, qui implique de remplacer nos objets du quotidien par leur version non jetable : exit les sacs plastiques, place aux cotons lavables, bocaux pour les courses et sacs en tulle pour les légumes.
Le « ZD » a aussi de nombreux bénéfices sur la santé et le budget, en n’achetant que ce qui est nécessaire, et moins de produits chimiques.[24]
Une autre initiative récente a remis l’économie de la fonctionnalité sur le devant de la scène : grâce à Pumpipumpe, il est possible d’indiquer à ses voisins si l’on possède certains objets que l’on souhaite prêter si jamais d’autres en ressentent le besoin. Cela permet de faire des économies, d’éviter la production inutile d’objets, et de tisser du lien entre voisins.
Si tu devais ne retenir qu’une chose
L’économie circulaire est un système qui vise à consommer de manière plus sobre, en suivant la satisfaction de nos besoins sans pour autant se gaver ni gaspiller. Ce système s’oppose à l’économie linéaire, un système bâti sur l’exploitation de la Nature et du Vivant, en opposition complète avec eux.
En effet, cette production toujours en croissance a des impacts non seulement sur la consommation de ressources et la production de déchets, mais aussi sur la biodiversité, la santé humaine, les émissions de GES et les pollutions.
Il est ainsi important d’avoir en tête que c’est souvent la production qui représente la majeure partie des impacts socio-environnementaux d’un bien de consommation.
Si son application est simple et peut être mise en pratique dans la vie de tous les jours à de nombreuses échelles, l’économie circulaire reste un sujet dense, qui est malheureusement trop souvent réduit au recyclage.
L’économie circulaire, c’est justement anticiper au maximum pour penser sur tout le cycle de vie du bien.
C’est un concept qui peut être appliqué à l’échelle individuelle, avec le zéro déchet par exemple, mais qui peut l’être aussi à échelle territoriale et entre les entreprises.[25]
Cependant, l’économie circulaire n’a pas de sens dans une logique de croissance économique, car ce serait contraire à sa logique de sobriété. L’économie circulaire doit se faire dans un contexte de frugalité et donc de décroissance du PIB au profit de la croissance des liens, de la santé et de la prospérité écologique.
Consommer moins, consommer mieux, c’est le résumé parfait de l’économie circulaire.
LIRE AUSSI - L’économie circulaire, grande absente des législatives 2024 : Pourquoi les grands partis s’en contrefichent
[1] https://www.fondationbiodiversite.fr/valorisation-de-la-nature-et-outils-comptables-des-leviers-au-service-de-la-biodiversite/
[2] https://www.circularity-gap.world/2023
[3] Mis entre guillemets car ce terme est très anthropocentré.
[4] https://www.circularity-gap.world/2023
[5] Les frontières dépassées à ce jour sont : la destruction de la biodiversité, le changement climatique, l’eau verte dans le cycle de l’eau douce, les cycles d’azote et de phosphore, le changement d’utilisation des sols et l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère.
[6] Catherine Dauriac, Fashion - Décrypter l'industrie de la mode sans fake news : fast fashion, matières premières, conditions de travail, seconde main, sobriété, coll. fake or not, 2022.
[7] Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares, La face cachée de la transition énergétique et numérique, 2018.
[8] https://greenly.earth/fr-fr/blog/actualites-ecologie/lempreinte-carbone-dun-smartphone
[9] Catherine Dauriac, id.
[10] https://www.batimentbascarbone.org/carbone-batiment/
[11] https://expertises.ademe.fr/economie-circulaire
[12] Le détail des sept piliers sera précisé dans un autre article afin de ne pas trop allonger celui-ci.
[13] Ceci est néanmoins faux dans la définition du Ministère de la transition écologique et la cohérence des territoires et du Ministère de la transition énergétique, qui incluent l’économie circulaire dans leur projet de croissance verte (un oxymore, à mon humble avis) : https://www.ecologie.gouv.fr/leconomie-circulaire
[14] https://www.un.org/fr/chronique-onu/nous-pouvons-contribuer-à-réduire-les-pertes-et-le-gaspillage-alimentaires
[15] [16]
[17] Voir le site internet de la fresque de l'économie circulaire
[18] Béa Johnson, Zéro déchet, 2013.
[19] Pour sensibiliser sur le sujet, Lise Nicolas et Enzo Muttini ont créé M. & Mme Recyclage
[20] Voir cette infographie que j’ai réalisée avec L’Iglou au sujet de l’effet rebond.
[21] Pour en savoir plus, lire Recyclage : le grand enfumage, de Flore Berlingen.
[22]
[23] Sur le sujet, voir le site internet d'HOP : Halte obsolescence programmée
[24] L’association Zero Waste France aide à sensibiliser sur le zéro déchet et donne des conseils à ce sujet.[25]