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Quelle est la stratégie seconde main de Carrefour ? Entretien avec un expert retail

Maurane Nait Mazi
23 avril 2024
23 avril 2024
6 min

Vincent Panneels est l'expert belge du retail, connu pour sa plateforme 20/CENT et son podcast The retail Influencer. Il analyse et discute de l'évolution du retail à travers son média destiné aux professionnels du secteur et ses dossiers approfondis. Il a examiné et testé la nouvelle plateforme « seconde vie » de Carrefour lancée en septembre dernier et a récemment visité le nouveau pop-up store de l'enseigne. Nous l'avons rencontré pour comprendre la stratégie de Carrefour sur le marché belge. Place à notre entretien.

Comment fonctionne Carrefour Reeborn ?

Vous connaissez les plateformes seconde main comme Facebook marketplace ? Carrefour Reeborn fonctionne un peu sur le même principe. L’offre est très variée. On y retrouve de tout : des vélos, c'est aussi des mini-items électroniques, votre vieille radio, votre vieux truc, tout ce qui peut être valorisé. En tant que consommateur, si vous avez un vieux vélo à vendre, vous pouvez le publier et le vendre sur la plateforme Carrefour Reeborn en vous y inscrivant.

Crédits : 20/CENT

Désormais, le pop-up offre une seconde chance de vente. Vous pouvez exposer votre produit dans le pop-up de Carrefour Reeborn à Bruxelles, un concept novateur en son genre.

Il sera ouvert d'avril à septembre 2024. Est-ce que le concept va être multiplié partout en Belgique ? Je ne pense pas, car un pop-up store de ce type a le principe d'être éphémère. C'est surtout pour créer un peu de buzz et faire mieux connaître la plateforme Carrefour Reeborn.

Quels avantages avez-vous identifié pour Carrefour ?

Plusieurs choses, d’abord, il faut voir aussi que ce n'est pas un outil qui est utilisé exclusivement pour le consommateur qui veut vendre ses vieux brols, c'est aussi utile pour les magasins Carrefour. Imaginons et prenons l'exemple de la saison des barbecues qui arrive. Les magasins font un stock de barbecues, de chaises de jardin, de parasols. Et puis, fin d'été, quand le temps commence à devenir dégueulasse, ils ont peut-être encore une ou deux chaises qui leur restent ou un parasol.

Qu'en font-ils ? Traditionnellement, ils les placent en évidence à l'entrée de leur galerie avec un panneau indiquant une réduction de 30% ou 40%. Au lieu de rester dans la même zone de chalandise avec les mêmes clients qui n'ont pas acheté cette chaise ou ce parasol restant, la marketplace de Carrefour permet à ses magasins de vendre leurs invendus. Ainsi, c'est un avantage à la fois pour le consommateur lambda et pour le magasin Carrefour qui a des surplus à vendre.

Carrefour Reeborn est-elle une plateforme seconde main ou une plateforme seconde vie ?


Il est vrai qu'il y a une forte communication autour du sujet de la seconde main, et comme Carrefour l'indique, il y a aussi des surplus. Il s'agit là de déstocker les produits sur stock de leurs magasins, des produits jamais utilisés. Donc c'est la seconde vie des produits.

Mais la plateforme Reeborn n'est pas conçue uniquement pour vendre des fins de série.

Arnaud Lesne et ses équipes ont pensé créer un peu une foire aux bonnes affaires et aider les magasins à avoir cette exposition digitale pour les produits invendus. D’ailleurs au pop-up store, j’ai vu des produits de seconde main avec une touche vintage assez soignée plutôt que simplement des invendus.

Crédits : 20/CENT

Quelle est la cible de Carrefour Reeborn et comment est-elle fidélisée ?

La cible de Carrefour Reeborn est la famille jeune et moderne à la différence d’autres marques retail belges avec une autre ADN comme le “food good”. Travailler la seconde main est plus dans la tendance trendy que dans le bien manger uniquement. Carrefour souhaite séduire et fidéliser le consommateur moderne et cool. Le pop-up Reeborn avec son côté vintage est pensé pour être cool, - tu viens prendre ton café, tu te poses une petite heure pour une session de coworking.

Sont visés les jeunes actifs urbains, que ce soit des étudiants, des jeunes célibataires, en couple, ou même des jeunes familles avec un premier enfant. Une génération hyper connectée.

Tous ont un smartphone, ont déjà utilisé ou regardé des produits de seconde main sur des sites en ligne. Ils sont sensibles au réemploi et soucieux de leur pouvoir d’achat : “au lieu de m’acheter un nouveau vélo, peut-être que je n’ai pas les moyens de me le payer à 1 500 balles mais un vélo à 200, 300 euros sur la marketplace serait bien”. Ils respectent les principes de reuse, au lieu de jeter. Reeborn, ce n’est pas la mère de famille qui cherche à chiner uniquement les fringues de ses enfants qui sont devenus trop petits pour en trouver des nouveaux.

Pour la fidélisation, l’utilisateur reçoit s’il le souhaite des points bonus Carrefour, ce qui le fidélise à la marque.

Le projet Reeborn est en ligne avec d'autres actions de Carrefour pour réduire cette audience jeune, urbaine et dynamique, tout comme le partenariat annuel avec le festival de Tomorrowland, le plus gros festival de musique électronique, qui a lieu en Belgique. Sur cet événement, Carrefour a aussi son pop-up store, mini supermarché, sur le festival pendant plusieurs jours.

Quels sont les défis Carrefour dans le retail aujourd’hui ?

On est sur trois axes principaux : les crises, la sustainability et la digitalisation.

Carrefour fait face aux mêmes défis que les autres retailler, à savoir des crises successives. Que ce soit la crise Covid, la guerre en Ukraine, le conflit en Palestine, les différentes crises énergétiques, ou encore l'inflation. Tous ces facteurs font que les consommateurs sont plus attentifs à leurs dépenses. Ils regardent leur porte-monnaie et privilégient des offres aux prix plus attractifs. Le marché seconde main devient alors un très bon outil pour se positionner.

En plus de cela, il y a la prolongation de la durée de vie des produits où tout le monde doit faire faire des efforts. Ici, la seconde main est un des outils de sustainability. Au lieu de jeter, et produire un nouveau truc, vous pouvez réutiliser quelque chose qui est encore tout à fait potable. Cela reste une stratégie commerciale. Enfin, le dernier point important est la digitalisation. Carrefour Reeborn mise sur une plateforme digitale qui permet de vous connecter. Peut-être que certains clients vont devenir des vrais adeptes de Reeborn, je n’en sais rien.

Quelles sont les perspectives de développement du concept Reeborn ? Le voyez-vous s'étendre à d'autres villes ou pays comme la France ?

Le concept Reeborn en Belgique doit faire ses preuves. S’il fait ses preuves - et il est trop tôt pour dire que l’initiative va se déployer, pourquoi pas. Je ne vois pas pour autant une multiplication de concepts store. Je pense qu’il serait pertinent pour Carrefour Belgique d’intégrer le projet dans un coin dans ses hypermarchés existants. Une zone d'achalandise suffisante dans environ quarante supermarchés en Belgique plutôt que pour faire un comptoir, un guichet dédié au Reeborn. Donc que Carrefour fasse, dans la grande distribution et non spécifiquement, ce que fais déjà Décathlon ou Kiabi dans les secteurs du sport et de l’habillement.

Pour la multiplication au niveau international, là je vais vous donner une réponse de Belge : si les français sont malins, ils vont suivre.

Malheureusement l'histoire ne l’a pas toujours montré. Parce que Carrefour a longtemps été inconsistant dans son approche du consommateur. Pas qu’en France, en Belgique aussi. C'est parce que les deux sont très liés. On dit quand il pleut à Paris, il y a quelques gouttes qui tombent à Bruxelles. C'est en réalité aussi un peu l'inverse. Un retailler comme Colruyt existe depuis plus de 60 ans en Belgique et existe avec un concept : « on offre les marques les moins chères de tout le territoire ». Ils n'ont jamais dévié et fait autre chose. Ils travaillent sur tous les autres axes, mais ils ont vraiment cet ADN.

Vous pensez à Colruyt, vous pensez à des prix bas. Vous pensez à Delhaize, vous allez penser au good food. Vous pensez à Monoprix en France, vous pensez au supermarché bourgeois, comme certains disent. Par contre, c'est quoi Carrefour ?

Une fois Carrefour propose le bio le moins cher, une fois les meilleurs promos, une fois du good food. Cela restait inconsistant et ils n'ont jamais été à fond. Parce qu'une fois que le CEO changeait l'approche du groupe devait changer et suivre. Par exemple, un CEO exigeait des animations et le suivant demandait de tout arrêter du jour au lendemain. La volonté est ici d'avoir une vision que l'on pourrait presque paraphraser en :

« Ok le good food n’est pas chez nous, le moins cher n’est pas chez nous. On peut se combattre et travailler sur ces points, bien sûr. Mais nous allons travailler une cible, un public plus jeune, plus urbain, plus dynamique et peut être une marque plus trendy. »

Est-ce vrai de dire que Carrefour réinvente le retail avec Reeborn ?

Je suis partagé entre oui et non.

Oui, le concept est plus complet avec Carrefour Reeborn, car il intègre l'idée de la marketplace qui offre une diversité de produits - c'est un hypermarché, tandis que Decathlon se concentre exclusivement sur son secteur par exemple. De mon expérience personnelle, le concept Decathlon ne fonctionne pas très bien. J'ai essayé de vendre mon vélo en magasin et le vendeur m'a conseillé de le vendre moi-même sur la marketplace car il m'offrait un prix beaucoup plus bas que ce que je pourrais obtenir en le vendant moi-même. Avec la marketplace de Carrefour, le système est différent. Vous agissez en tant que revendeur et pouvez contrôler votre prix et la manière de vendre. C'est beaucoup plus souple et libre. Vous pouvez aussi vous associer à la marque Carrefour en accumulant des points.

Ce n'est pas une réinvention mais plutôt une série d'améliorations. Carrefour Reeborn améliore à mon avis l'offre, qui devient plus complète grâce à la digitalisation et à l'aspect hybride, la plateforme et le pop-up. Pop-up qui pourrait se multiplier sous une autre forme, au sein des points de vente fixes et existants même si ce n'est pas les plans pour l'instant.

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