Fin de la deuxième saison pour le feuilleton sur la loi anti-fast fashion. Après une première séquence à l'Assemblée nationale en 2024, cette proposition de loi qui vise à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile finit mardi 10 juin son long périple au Sénat. Adopté à 337 voix lors d'un scrutin public solennel, le texte aura été largement réécrit en un an. Une commission mixte paritaire (CMP) se chargera d'aboutir d'une mouture finale. Saison 3 à suivre donc…
A voté. Un an, deux mois et 27 jours après l’Assemblée nationale, le Sénat a (enfin) adopté la proposition de loi visant à limiter l’impact environnemental de l’industrie textile - dite loi anti-fast fashion.
337 sénateurs ont voté pour. Un seul a voté contre. Trois se sont abstenus. Dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg, les élus se sont félicités d’un texte "enrichi", "équilibré", "pragmatique" et "ambitieux".
"Ce texte marque un tournant", a ainsi déclaré en préambule le président de la commission du développement durable, Jean-François Longeot.
Ce n’est pas, selon lui, “un texte de circonstance”. Cette nouvelle mouture prévoit de s’inscrire “dans le temps et dans le cadre d’un pacte entre le producteur, le consommateur et la planète”, estime le sénateur centriste du Doubs.
Les débats du 2 juin dernier avait finalement renforcé le texte sorti "appauvri" de la commission du Sénat de mars, selon les défenseurs d’un texte plus coercitif.
Avant le vote, nombreux ont été les sénateurs à saluer la réintroduction de certains articles comme l’interdiction de la publicité. Et l’entrée de certains nouveaux thèmes comme la taxe sur les petits colis en provenance extra-européenne.
"Je veux saluer l’esprit de construction qui a animé nos débats et a permis de donner à ce texte une portée transpartisane", a ainsi loué la sénatrice rapporteure du texte Sylve Valente Le Hir.
En déplacement à Nice à l'occasion de la troisième Conférence des Nations Unies sur l'Océan (UNOC 3), la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, s'est réjouie: "C’est une étape majeure dans la lutte contre l’impact économique et écologique de la fast fashion et l’ultra fast fashion, et un signal fort envoyé aux industriels, comme aux consommateurs", a-t-elle déclaré.
Un texte largement réécrit entre l’Assemblée et le Sénat
Entre l’Assemblée et le Sénat, le texte a été très largement réécrit. Par la commission du développement durable d’abord, en mars dernier, puis par le gouvernement au printemps.
Au grand dam des associations environnementales et au grand soulagement des marques de fast fashion (Kiabi, Zara, Primark etc.), beaucoup moins ciblées que prévu. La proposition de loi s’est resserrée autour de l"urgence" de l’ultra fast fashion. Un positionnement assumé par la sénatrice rapporteure Sylvie Valente Le Hir.
L’apparentée Les Républicains ne souhaitait pas toucher "d’un centime une marque comme Décathlon ou Kiabi", avait-elle déclaré quelques semaines plus tôt à CM-CM.fr.
Cette loi, le Sénat ne l’a pas "affaiblie", a défendu dans son discours d’introduction au vote, la rapporteure originaire de l’Oise. "Ce texte de régulation (…) ne prétend pas tout résoudre", mais il "ose fixer des limites", "assume de poser des bornes", "loin des slogans faciles", a-t-elle appuyé.
“Il a su distinguer au sein d’un secteur parfois mal compris, ce qui relève de la surconsommation programmée et ce qui relève de l’innovation soutenable. Nous avons clarifié la cible (…) Nous voulons préserver la mode accessible, mais enracinée, qui emploie en France, qui structure nos territoires, qui crée du lien et qui soutient un tissu économique local”, a précisé la sénatrice apparentée au groupe LR.
"Ce texte a deux ambitions: une ambition de protéger notre environnement et une ambition de protéger nos commerces", a félicité de son côté le gouvernement en la personne de Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce.
"Mon message aux acteurs du secteur qui s’engagent pour l’environnement : vous pouvez compter sur moi!", a ajouté Agnès Pannier-Runacher, à l'issue du vote au Sénat.
Rendez-vous à la commission mixte paritaire
Largement réécrite pendant la (longue) navette parlementaire, cette proposition de loi nécessitera une commission mixte paritaire pour aboutir d’une version définitive qui réunira sénateurs et députés.
Celle-ci n’aura pas lieu avant l’automne. Et nécessitera d’abord de notifier la Commission européenne pour obtenir une modification de la directive qui encadre le e-commerce. Ce, afin de maintenir l’article 3. Ce dernier, introduit par les députés en mars 2024, abandonné en commission par le Sénat en mars 2025, a été réinscrit au texte lors des débats du 2 juin dernier. Il prévoit d’interdire la publicité pour l'ultra fast fashion.
"Dès demain nous allons notifier à la Commission européenne ce texte, qui disposera d’un délai de trois mois voir quatre si besoin pour nous faire part de ces observations", a indiqué Véronique Louwagie qui ajoute se mettre à l’ouvrage dès à présent sur l’écriture des décrets avec la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher.
Les défenseurs d’un texte coercitif sur le modèle de celui voté à l’Assemblée vont veiller notamment veiller sur trois points de vigilance pour les futurs débats parlementaires: L’affichage environnemental va être réintroduit dans l’instauration du bonus-malus ? L’interdiction de la publicité va-t-elle être maintenue ? La définition de l’article 1 va-t-elle réintroduire la fast fashion (en se fondant sur le nombre de vêtements mis en marché et non le nombre de nouveautés mises en marché) ?
Pour le Collectif Stop Fast Fashion qui réunit une dizaine d’associations environnementales et sociétales, le texte laisse un angle mort. Dans un communiqué, cette coalition dont certains membres travaillent depuis des années sur ce texte (à l'instar de l'ONG Fashion Revolution France) constate:
"Un nœud majeur persiste: plutôt qu’un texte encadrant l’ensemble des pratiques du secteur textile, le Sénat cible la seule mode ultra éphémère. Si cette dernière pousse à leur paroxysme les mauvaises pratiques, en en faisant son unique objet, le texte laisse une large majorité d’acteurs dans son angle mort".
La seconde main (enfin) introduite au Sénat
Par ricochet, ce long travail parlementaire aura permis à de nombreux acteurs et thèmes de rejoindre le marathon contre la fast fashion. Ainsi des acteurs circulaires peu identifiés au départ ont rejoint courant 2025 le Collectif Stop Fast Fashion. C’est le cas par exemple du Réseau National des Ressourceries et Recycleries.
Certains entreprises, poids lourds de l’économie circulaire, tel que Vestiaire Collective, sont passées à une stratégie plus offensive et militante. Des personnalités de l’Économie sociale et solidaire (ESS), telles que Maud Sarda, créatrice de Label Emmaüs sont même devenues les visages sur les réseaux sociaux du combat contre la fast fashion européenne et chinoise.
Mais surtout, les mots "seconde main" et "économie circulaire" ont pénétré l’antre considérée comme plus conservatrice du Sénat. Lors des débats autour de la proposition de loi, la sénatrice rapporteure Sylvie Valente Le Hir a introduit ces concepts dans l’hémicycle lors de son discours d’introduction.
Le texte de loi adopté au Sénat va jusqu’à inscrire les termes au sein de son article 3 relatif à l’interdiction de la publicité :
"En complément de l’information sur l’impact environnemental mentionnée au présent (…) toute publicité (…) doit être accompagnée d’un message encourageant des modes de consommation plus durables, tels que l’achat de produits de seconde main (…) afin de contribuer à la réduction de l’impact environnemental lié à la production de nouveaux produits".
L’attente de ce vote, le lobbying, les happenings, les allers-retours, les amendements et celle qu’on appelle désormais "l’affaire de la loi Fast Fashion" aura au moins permis ce truchement: par l'intermediaire de la loi anti-fast fashion, la seconde main s’est (enfin) fait une place au Sénat.
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Catégorie : Politique


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