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Les soldes libres : une tendance sur le marché de la seconde main

Maurane Nait Mazi
17 janvier 2024
17 janvier 2024
5 min

Sur le  marché de la seconde main, une tendance se dessine : les soldes libres. Ce concept, alliant éthique et choix, répond à un impératif croissant de consommation responsable. Face à la remise en question des soldes traditionnelles, les marques proposent une réduction à la carte, signe d'une évolution des pratiques commerciales. Décryptage.

Le principe des soldes libres : choisir une réduction

Les soldes libres marquent une rupture avec les méthodes commerciales, y compris dans le secteur de la seconde main. Les consommateurs ont une liberté inédite dans le choix de leur remise, qui varie généralement entre 0% et 30%. Ce mécanisme, né d'un désir de consommation consciente, remet en question les techniques traditionnelles de déstockage et la propension aux achats impulsifs.

Samut Gut, journaliste pour Fashion network, explique que ces soldes libres sont inspirées de l’action “pay what you want” menée en 2019 par Maison Standards. En 2021, Don't Call Me Jennyfer avait également organisé l'opération "choisis ton prix" à l'approche de la rentrée scolaire. Il s'agissait d'une sorte de soldes libres où l’acheteur pouvait choisir entre trois prix pour l'achat d'un article. Ce choix se matérialisait concrètement par l'étiquette attachée au vêtement : la cliente devait détacher le prix qu'elle ne souhaitait pas payer, puis passer en caisse. Cette mesure avait été mise en place par la marque officiellement pour permettre aux consommateurs ayant un pouvoir d'achat limité d'avoir accès aux vêtements de la marque.

Articles en soldes libres, une tendance dans le marché de la seconde main
Exemple de trois prix proposés pour un article - Don't Call Me Jennyfer. Crédits : Jennifer

Loin de l'approche éthique qui dénonce les dérives d'un système de surproduction, l'idée se propage rapidement pour quitter la fast fashion. Le concept store We Dress Fair, qui promeut une mode éthique depuis l'été 2022, propose des soldes libres. Cette opération est encore renouvelée cet hiver.

Entre boycott et soldes traditionnelles : une troisième voie

Les soldes libres émergent entre le boycott et les soldes traditionnelles comme une voie intermédiaire prometteuse pour le marché de la seconde main. « C’est un défi de trouver un équilibre entre rester fidèle à nos valeurs, nos objectifs de développements et la demande de réduction » confie Mathilde Avenati, responsable marketing et communication de la plateforme de mode de seconde main OMAJ.

Les soldes traditionnelles visaient à l'origine à écouler rapidement les stocks, offrant aux consommateurs des réductions attractives. « Les prix des produits sont déjà très bas, les soldes n'ont plus vraiment de sens vu les remises incessantes des acteurs en ligne, notamment des grandes enseignes », précise Laurent Maurel du média Boutique2Mode. Les commerçants indépendants accueillent les soldes avec peu d'enthousiasme, observant une clientèle moins attentive », ajoute-t-il

Perçues comme dénuée de leur intérêt originaire, les marques repensent leurs stratégies commerciales comme le montre l'initiative d'un collectif Green Friday. « En tant que marque engagée, on recherche à diffuser notre action, avoir du poids, tout en intégrant une logique de croissance », précise Mathilde Avenati qui soulève le dilemme qu'a connu l'équipe en temps de soldes. Les soldes libres s'interprètent comme une réponse de terrain. OMAJ a d'ailleurs interrogé ses clients lors du Black Friday pour repenser ce temps commercial. 60% étaient opposés, tandis que 60% ont exprimé leur désir de bénéficier de promotions et de codes promotionnels pendant cette période, selon la plateforme.

« On s'est dit que nos clientes étaient partagées, comme nous. Philosophiquement, elles sont plutôt contre le Black Friday, mais dans la réalité, elles sont plutôt pour des réductions. Cela nous a confortés de laisser le choix ». — Mathilde Avenati

Le marché de la seconde main présente un panorama varié : certains acteurs, comme La Frange à l'Envers, le plus grand dépôt-vente de Paris, adhèrent aux soldes, tandis que d'autres les rejettent. Un mouvement, bien que minoritaire, s'oriente vers les soldes libres.

Qui pratique les soldes libres sur le marché de la seconde main ?

OMAJ

Dans l'écosystème des soldes libres, certaines enseignes se distinguent en faisant parler de l'opération sur les réseaux sociaux. C'est le cas d'OMAJ. Par exemple, dans une publicité sponsorisée sur Instagram, Paul Charon, CEO de la start-up, explique la démarche face caméra. Inspirée par "nos amis de WeDressFair", OMAJ propose une alternative aux soldes d'hiver en précisant son approche. « Selon vos moyens et votre soutien au projet, vous pouvez choisir parmi quatre codes de réduction au moment du paiement » peut-on lire sur le site. Les remises varient de 0% à 20%, pour chaque palier un degré "de soutien" au projet de l'entreprise.

Articles en soldes libres de la plateforme OMAJ, une nouvelle tendance sur le marché de la seconde main
Exemple des quatre prix proposés pour un article - Crédits OMAJ

Le site e-commerce lancé en 2021 n'est pas à son coup d'essai. Après un dilemme Friday basé sur le même principe, OMAJ reconduit les soldes libres pour la deuxième fois.

Les soldes libres dans la mode et dans le livre

D'autres acteurs de la mode seconde main, tels qu'Abracadabra lingerie pour la lingerie d'occasion, emboîtent le pas cette saison. Le principe est le même et quatre prix sont proposés de 0 à 20%. Pour Margaux Plus, co-fondatrice de la plateforme, les soldes libres sont « une façon de ne pas disparaître des radars ».

« L’avantage de la seconde main c’est que c’est accessible toute l’année mais il faut rester attractif durant la période des soldes » — Margaux Plus
Exemple de prix flexible chez Abracadabra lingerie, caractéristiques des soldes libres dans le marché de la seconde main
Exemple de quatre prix proposés pour un article. Crédit : Abracadabra lingerie

Au-delà de la mode, l’initiative est également partagée. Recyclivre adopte une démarche similaire, permettant au client de choisir lui-même le montant de sa réduction à partir d'un achat de 10€, introduisant ainsi une flexibilité dans le domaine du livre. Cette approche vise à concilier l'accessibilité financière pour les clients avec les enjeux économiques d'une entreprise de l'économie sociale et solidaire. La concurrence des plateformes de revente met en péril leur modèle économique ; les soutenir devient alors crucial pour leur survie. Les soldes libres représentent pour ces acteurs un moyen de communiquer sur leur impact sous un angle à fois social et solidaire.

Opération marketing de Recyclelivre illustrant la consommation responsable dans le secteur de la seconde main
Exemple des quatre prix proposés par un article. Crédits : Recyclivre


Le potentiel des soldes libres

En offrant aux consommateurs la latitude de fixer leur remise, les soldes libres incitent à une réflexion sur la valeur d’un achat. Ce qui challenge le paradigme des soldes, y compris dans le secteur de la seconde main. En donnant aux consommateurs la liberté de déterminer leur propre remise, les soldes libres sont a priori éloignées des incitations à la surconsommation et permettent une adaptation en fonction de chaque situation financière.

Une manière pour les marques de sensibiliser à l’acte d'achat et la surconsommation

Selon le journaliste Laurent Maurel, « c'est une bonne idée pour sensibiliser le consommateur à l'importance du juste prix des articles de mode ». Le professionnel pointe du doigt qu'elle fait défaut pour la majorité des acteurs de la mode.

« Il n'est pas étonnant que nous ayons récemment assisté à une hécatombe des grandes enseignes. Les marges sont très faibles, à force de toujours solder, il y a toujours un acteur moins cher, comme Shein ou Temu récemment. Cela n'a pas de fin, donc donner le choix, c'est faire comprendre que l'habillement a un coût et cela auto-responsabilise. » — Laurent Maurel

Margaux Plus de la plateforme de lingerie en ligne Abracadabra précise l’enjeu de responsabilité en tant que marque. « On s’est demandé comment on pouvait responsabiliser les personnes qui consommer chez nous proposant la réduction qu’elles souhaitent en fonction de leur budget » dit-elle en poursuivant : « il faut continuer à inviter à venir chez nous ».

Soldes participatives : consom’acteur et procédé marketing

Cette approche place le consommateur, habituellement éloigné de la fixation des prix, au centre de la décision. En incitant à adopter une démarche proactive, il devient un “consomm'acteur”, ce qui est d'autant plus important dans un contexte économique marqué par l'inflation et l'effet rebond connu dans la consommation de produits d'occasion.

Les soldes libres soulèvent la question de leur capacité à transformer les habitudes d'achat. Peu d'acteurs les pratiquent et les intègrent dans une stratégie marketing. Il convient de noter que les plateformes génèrent un sentiment de participation et de confiance grâce à ce processus de tarification. La transparence de l'opération renforce également la fidélité à la marque. Le journaliste Laurent Maurel souligne que les soldes libres pourraient être intéressantes en point de vente physique pour les commerçants indépendants qui connaissent personnellement leur clientèle. Pour Margaux Plus les soldes libres sont pratiquées exclusivement par des acteurs engagés. Proposées par les marques de fast fashion, elles n’auraient pas de sens « car l'initiative nécessite de se questionner au moment de l’achat : ai-je vraiment besoin de cette pièce et combien elle me coûte ? » Une réflexion incompatible avec une mode qui se consomme rapidement pour l'entrepreneure.

Entre viabilité économique et responsable sociale des détaillants dans la seconde main

On peut questionner la viabilité économique de ce jeune modèle pour les détaillants. L'efficacité de cette approche sur le long terme reste une question ouverte et la principale préoccupation.

OMAJ annonce déjà son intention de pérenniser cette pratique. « Dans la vie d'une start-up, les choses peuvent changer, mais on peut dire aujourd’hui que nous l’opération va durer dans le temps. Les soldes libres nous aident à grandir et à poursuivre notre mission en encourageant les clients à réfléchir à la valeur de leur achat », indique Mathilde Avenati.

Quelques chiffres sur l'opération. En juillet 2023, 70% ont choisi la réduction maximale de 20%, 20% ont choisi d'acheter sans réduction, et 10% ont opté pour des réductions intermédiaires. En janvier 2024, les premiers jours : 46% ont choisi la réduction maximale de 20%, et 42% achètent sans réduction. Mathilde Avenati, qui analyse la répartition nette, souligne qu'il est « formidable d'être aussi soutenu ». Pour Abracadabra lingerie le premier bilan est également positif. « Ce sont des périodes creuses donc cela nous permet de relancer l’activité à ce moment de l'année. Et nos clientèles apprécient de choisir, notamment celles qui ont de très petits budgets. » précise Margaux Plus partageant les chiffres de l'entreprise. 38% des commandes sont sans réduction et 50% avec le code 20%, la plus grande réduction proposée durant les soldes.

Ce début de l'opération montre une confiance dans la capacité des soldes libres à équilibrer les impératifs commerciaux avec une approche plus consciente de la consommation.

Des soldes participatives qui pourraient redéfinir les pratiques commerciales

Les soldes libres concilient consommation et pouvoir décisionnel. Dans un contexte où les ventes privées et le Black Friday ont déjà bouleversé le calendrier commercial traditionnel, et où un nombre croissant de français s'en détournent, la capacité des soldes libres à redéfinir les règles du jeu d'un modèle en difficulté est à surveiller. Les soldes participatives pourraient constituer une étape structurante dans l'évolution des pratiques commerciales, en alignant l'éthique sur les stratégies de marché.