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Les soldes libres dans la seconde main : faut-il les prendre au sérieux ?

Maurane Nait Mazi
17 janvier 2024, mise à jour le 15 juillet 2024
17 janvier 2024, mise à jour le 15 juillet 2024
Temps de lecture : 5 min

De plus en plus de marques adoptent les soldes libres pour répondre à un impératif croissant de consommation responsable. Décryptage de cette tendance commerciale observée dans la seconde main.

Le principe des soldes libres : choisir sa réduction

Le principe est simple : durant la période des soldes, le consommateur est libre de choisir sa remise, généralement comprise entre 0 % et 30 %. Cette opération, née d'un désir de consommation consciente, remet en question les techniques traditionnelles de déstockage.

Le journaliste Samut Gut explique pour Fashion Network que les soldes libres sont inspirées de l’action "pay what you want" menée en 2019 par Maison Standards. En 2021, Don't Call Me Jennyfer a également organisé l'opération "choisis ton prix" à l'approche de la rentrée scolaire. Cette initiative permettait à l’acheteur de choisir entre trois prix pour un article, concrétisé par une étiquette attachée au vêtement : la cliente détachait le prix qu'elle ne souhaitait pas payer avant de passer en caisse. Cette mesure visait officiellement à permettre aux consommateurs ayant un pouvoir d'achat limité d'accéder aux vêtements de la marque.

Les soldes libres c'est quoi ? Exemple avec le choix de remise de la marqueJennifer
Exemple de trois prix proposés pour un article - Don't Call Me Jennyfer

We Dress Fair, qui promeut une mode éthique, se réapproprie le concept. Depuis l'été 2022, le concept store propose des soldes libres et explique sa démarche dans un article de blog. Les soldes libres émergent comme alternative et arrivent naturellement sur le marché de la seconde main.

Entre boycott et soldes traditionnelles : une troisième voie

Mathilde Avenati, responsable marketing et communication de la plateforme de mode de seconde main OMAJ, explique : « C’est un défi de trouver un équilibre entre rester fidèle à nos valeurs, nos objectifs de développement et la demande de réductions. »

À l'origine, les soldes traditionnelles avaient pour but d'écouler rapidement les stocks, offrant aux consommateurs des réductions attractives. « Les prix des produits sont déjà très bas, les soldes n'ont plus vraiment de sens vu les remises incessantes des acteurs en ligne, notamment des grandes enseignes », précise Laurent Maurel du média Boutique2Mode. Les commerçants indépendants accueillent désormais les soldes avec peu d'enthousiasme, observant une clientèle moins attentive. Face à la perte d'intérêt pour les soldes traditionnelles, certaines marques repensent leurs stratégies commerciales, comme en témoigne l'initiative du collectif Green Friday.

« En tant que marque engagée, nous cherchons à diffuser notre action, avoir du poids, tout en intégrant une logique de croissance », souligne la communicante d'OMAJ, évoquant le dilemme de l'équipe pendant les périodes de soldes. Les soldes libres apparaissent comme une réponse de terrain. OMAJ a interrogé ses clients lors du dernier Black Friday pour repenser ce temps commercial. Il nous est rapporté que 60 % étaient opposés, tandis que 60 % souhaitaient bénéficier de promotions et de codes promotionnels pendant cette période.

« Nos clientes étaient partagées, comme nous. Philosophiquement, elles sont plutôt contre le Black Friday, mais dans la réalité, elles sont pour des réductions. Cela nous a confortés dans l'idée de laisser le choix. »

Qui pratique les soldes libres dans la seconde main ?

Le marché de la seconde main est partagé sur le sujet. Il y a ceux qui ne pratiquent pas de soldes, comme La Frange à l'Envers, plus grand dépôt-vente de Paris. Ceux qui les appliquent, comme le réseau de dépôt-vente Bobby. Et ceux qui ouvrent la voie.

OMAJ

C'est le cas d'OMAJ. Inspirée par "nos amis de WeDressFair", peut-on lire sur le site, « selon vos moyens et votre soutien au projet, vous pouvez choisir parmi quatre codes de réduction au moment du paiement ». Les remises varient de 0 % à 20 %, chaque palier correspondant à un degré de "soutien" au projet de l'entreprise.

Soldes libres par OMAJ dans la seconde main
Exemple des quatre prix proposés pour un article - OMAJ

Le site e-commerce, lancé en 2021, n'en est pas à son coup d'essai. Après un dilemme Friday basé sur le même principe, OMAJ reconduit les soldes libres pour la deuxième fois.

Les soldes libres dans la mode et dans le livre

D'autres acteurs de la mode seconde main, tels qu'Abracadabra Lingerie, suivent le mouvement cette saison. Le principe est le même : quatre niveaux de prix allant de 0 % à 20 % de réduction. Pour Margaux Plus, co-fondatrice de la plateforme, les soldes libres sont « une façon de ne pas disparaître des radars ».

« L’avantage de la seconde main, c’est que c’est accessible toute l’année, mais il faut rester attractif durant la période des soldes », explique-t-elle.
Les soldes libres par Acadabra lingerie dans la seconde main
Exemple de quatre prix proposés pour un article. - Abracadabra lingerie

Cette initiative dépasse le domaine de la mode. Recyclivre adopte une approche similaire, permettant aux clients de choisir eux-mêmes le montant de leur réduction à partir d'un achat de 10 €. Cette flexibilité vise à concilier l'accessibilité financière pour les clients avec les enjeux économiques d'une entreprise de l'économie sociale et solidaire. La concurrence des plateformes de revente met en péril leur modèle économique, rendant crucial le soutien à ces initiatives. Les soldes libres offrent à ces acteurs un moyen de communiquer sur leur impact à la fois social et solidaire.

Les soldes libres par Recyclelivre dans la seconde main
Exemple des quatre prix proposés par un article. - Recyclivre


Le potentiel des soldes libres


En offrant aux consommateurs la possibilité de fixer leur propre remise, les soldes libres incitent à une réflexion sur la valeur d’un achat, remettant en question le paradigme des soldes, y compris dans le secteur de la seconde main. Cette liberté permet d’éviter les incitations à la surconsommation et s’adapte à chaque situation financière.

Sensibiliser à l’acte d'achat et à la surconsommation

Pour le journaliste Laurent Maurel, « c'est une bonne idée pour sensibiliser le consommateur à l'importance du juste prix des articles de mode ». Cette approche manquerait à la majorité des acteurs de la mode.

« Il n'est pas étonnant que nous ayons récemment assisté à une hécatombe des grandes enseignes. Les marges sont très faibles, et à force de toujours solder, il y a toujours un acteur moins cher, comme Shein ou Temu récemment. Cela n'a pas de fin. Donner le choix permet de faire comprendre que l'habillement a un coût et responsabilise les consommateurs. »

Margaux Plus précise l’enjeu de responsabilité pour sa marque de lingerie : « On s’est demandé comment on pouvait responsabiliser les personnes qui consomment chez nous proposant la réduction qu’elles souhaitent en fonction de leur budget. Il faut continuer à les inviter à venir chez nous. »

Soldes participatives : consom’acteur et procédé marketing

Cette approche place le consommateur, habituellement éloigné de la fixation des prix, au centre de la décision. En incitant à adopter une démarche proactive, il devient un "consomm'acteur", ce qui est particulièrement pertinent dans un contexte économique marqué par l'inflation et l'effet rebond de la consommation de produits d'occasion.

Les soldes libres posent la question de leur capacité à transformer les habitudes d'achat. Peu d'acteurs les pratiquent et les intègrent dans une stratégie marketing. Cependant, cette approche génère un sentiment de participation et de confiance grâce à la transparence du processus de tarification, renforçant ainsi la fidélité à la marque. Laurent Maurel note que les soldes libres pourraient être intéressantes en point de vente physique pour les commerçants indépendants qui connaissent personnellement leur clientèle.

Pour Margaux Plus, les soldes libres sont pratiquées exclusivement par des acteurs engagés. Proposées par les marques de fast fashion, elles n’auraient pas de sens car « l'initiative nécessite de se questionner au moment de l’achat : ai-je vraiment besoin de cette pièce et combien elle me coûte ? ». Une réflexion incompatible avec une mode qui se consomme rapidement pour l'entrepreneuse.

Entre viabilité économique et responsable sociale des détaillants dans la seconde main

La viabilité économique de ce modèle de soldes pour les détaillants reste une question ouverte. L'efficacité de cette approche sur le long terme est la principale préoccupation.

OMAJ envisage de pérenniser cette pratique. « Dans la vie d'une start-up, les choses peuvent changer, mais on peut dire aujourd'hui que l'opération va durer dans le temps. Les soldes libres nous aident à grandir et à poursuivre notre mission en encourageant les clients à réfléchir à la valeur de leur achat », indique Mathilde Avenati.

Quelques chiffres sur l'opération : en juillet 2023, 70 % des clients ont choisi la réduction maximale de 20 %, 20 % ont acheté sans réduction et 10 % ont opté pour des réductions intermédiaires. En janvier 2024, lors des premiers jours, 46 % ont choisi la réduction maximale de 20 % et 42 % ont acheté sans réduction. Mathilde Avenati souligne qu'il est « formidable d'être aussi soutenu ». Pour Abracadabra Lingerie, le bilan est également positif. « Ce sont des périodes creuses, donc cela nous permet de relancer l’activité à ce moment de l'année. Nos clientèles apprécient de choisir, notamment celles qui ont de très petits budgets », précise Margaux Plus. Elle partage les chiffres de l'entreprise : 38 % des commandes sont sans réduction et 50 % avec le code de 20 %, la plus grande réduction proposée.

Ce début d'opération témoigne de la capacité des soldes libres à équilibrer les impératifs commerciaux et une approche plus consciente de la consommation.

Des soldes qui pourraient redéfinir les pratiques commerciales

Les soldes libres concilient consommation et pouvoir décisionnel. Dans un contexte où les ventes privées et le Black Friday ont déjà bouleversé le calendrier commercial traditionnel, et où un nombre croissant de Français s'en détournent, la capacité des soldes libres à redéfinir les règles du jeu d'un modèle en difficulté est à surveiller. Les soldes participatives pourraient constituer une étape structurante dans l'évolution des pratiques commerciales, alignant l'éthique sur les stratégies de marché.

Lire aussi : 90% de vêtements neufs sur les sites seconde main des marques Gérard Darel, Zapa et Tara Jarmon

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